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lundi 25 mars 2024

IN MEMORIAM


Le temps passe... Nous étions nombreux dans les années 1990 à regarder couramment des épisodes de la série Inspecteur Derrick qui étaient diffusés sur les chaînes de la télévision française publique - après une première programmation sur la défunte chaîne La Cinq, tandis que de nouveaux épisodes étaient toujours tournés en Bavière dans les studios de la ZDF. Les audiences étaient si bonnes que, bien que désireux de rajeunir son image, les dirigeants des programmes ne parvenaient pas à mettre définitivement un terme à sa diffusion, jusqu'à ce que des révélations, pourtant sommaires, sur le passé de l'acteur principal pendant la seconde guerre mondiale, postérieurement à son décès, ne la fasse bannir définitivement du réseau hertzien français comme allemand.

A présent, la série Inspecteur Derrick paraît de l'histoire ancienne, même si elle demeure dans la mémoire de beaucoup de téléspectateurs et la société Elephant Films en ressort l'intégrale en DVD. Il faut dire que cette création du scénariste Herbert Reinecker, souvent moquée de manière bien peu fine par des détracteurs se croyant malins, demeure singulière tant nombre de ses épisodes présentent une dimension existentialiste dépassant largement le cadre d'une classique enquête policière, les détectives n'étant parfois là que pour servir de prétexte au scénariste dans la perspective de présenter la condition humaine sans fard, avec ses dilemmes, illustrée par des acteurs brillants issus du théâtre le plus renommé.

Ce mardi 25 mars 2024 voit la disparition dans son sommeil à l'âge de 82 ans, après avoir fait face à plusieurs graves affections, de l'acteur qui incarnait le second de l'inspecteur principal, Fritz Wepper dans le rôle d'Harry Klein, un personnage d'ailleurs issu de la série précédente d'Herbert Reinecker, Der Kommissar, dans laquelle il laissait la place à son véritable frère cadet Elmar également acteur. Ce dernier l'a précédé de peu dans la mort puisqu'il s'est éteint le 31 octobre 2023 d'une insuffisance cardiaque à l'âge de 79 ans ; celui-ci s'était investi en faveur des enfants leucémiques et apportait depuis 2019 avec l'actrice Michaela May son soutien financier aux personnes âgées, ayant aussi participé à la campagne de contact de celles qui se trouvaient isolées durant la pandémie de COVID.

Fritz Wepper au temps d'Inspecteur Derrick.

Avec Fritz Wepper, c'est donc la dernière figure emblématique de ce programme qui disparaît et nombre des acteurs y ayant figuré ponctuellement sont également défunts, comme certains sur lesquels on se penchera par la suite. C'est donc l'occasion de rendre collectivement hommage à ceux qui ont incarné la réussite de cette série singulière, et le lecteur pourra retrouver dans les parutions précédentes un dossier détaillé sur chacun d'entre eux. Ce jour marque donc la fin ultime de cette page glorieuse de la télévision allemande, mais pas de l'intérêt qu'elle a suscité et l'on contribuera encore des années ici à l'évoquer.

Voici réunis sur cette une page mémorielle ceux qui ont participé tout au long de la série Inspecteur Derrick. Ils nous ont donc tous quittés à présent, mais leur souvenir demeurera au travers de cette œuvre impérissable.

  Helmut RINGELMANN

   4 septembre 1926 - 20 février 2011

      créateur et producteur de la série

                 Il a confié l'écriture à Herbert Reinecker auquel il a apporté durablement son appui.

https://rendez-nousderrick.blogspot.com/2021/12/lautre-duo-de-derrick-premiere-partie.html

https://rendez-nousderrick.blogspot.com/2022/02/lautre-duo-de-derrick-seconde-partie.html


      Herbert REINECKER     

24 décembre 1914 - 27 janvier 2007 

scénariste de l'intégralité des épisodes

Sa puissance de travail et son inventivité lui ont valu une association à long terme et  productive avec le producteur Helmut Ringelmann.   

https://rendez-nousderrick.blogspot.com/2021/12/lautre-duo-de-derrick-premiere-partie.html

https://rendez-nousderrick.blogspot.com/2022/02/lautre-duo-de-derrick-seconde-partie.html


Horst TAPPERT (Stefan Derrick)

26 mai 1923 - 18 décembre 2008

acteur principal

Il a incarné sans faillir le personnage principal créé par Herbert Reinecker, se pliant à la vision du scénariste lui insufflant sa vision de la justice. 

https://rendez-nousderrick.blogspot.com/2021/05/il-incarnait-linspecteur-tranquille-la.html


Fritz WEPPER (Harry KLEIN)

17 août 1941 - 25 mars 2024

secondant le rôle principal, il est resté fidèle jusqu'à la fin de la série 

https://rendez-nousderrick.blogspot.com/2021/06/harry-le-faire-valoir.html


Willy SCHAFER (Willy Berger)

6 mars 1933 - 6 mai 2011

Rôle de complément, faisant le lien avec le reste des policiers, il participa lui aussi jusqu'à l'ultime épisode.

https://rendez-nousderrick.blogspot.com/2021/07/un-bon-berger-qui-joue-les-utilites.html


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vendredi 2 décembre 2022

L’ENQUÊTE CÔTÉ SPECTATEUR

 


    Depuis l’Inspecteur Dupin d’Edgar Allan Poe, Sherlock Holmes de Conan Doyle puis Maigret de Simenon, ou encore Hercule Poirot et Miss Marple d’Agatha Christie, l’amateur de séries policières s’attend à ce qu’on le fasse pénétrer dans l’intimité d’une enquête, qu’on lui révèle la manière dont les moindres indices sont exploités pour conduire à la résolution des crimes. C’est également ce que semblent promettre deux séries policières célèbres du petit écran, Columbo et Inspecteur Derrick, mais il convient de se pencher plus précisément sur leur cas pour examiner si celles-ci se plient véritablement à l’exercice supposé ou si la place dévolue au spectateur est plus illusoire.

    Dans Columbo, le coupable est systématiquement montré en train d’agir au commencement de l’histoire, et c’est parfois également le cas dans nombre d'épisodes d’Inspecteur Derrick, comme Le diplomateUne affaire étrange, Un triste dimanche et Les enfants de Rasko. Par conséquent, le téléspectateur a une longueur d’avance sur l’inspecteur dépêché sur les lieux du crime, puisqu’il connaît au préalable le coupable, ses motivations ainsi que les circonstances exactes du crime. On s’attend donc à ce qu’on nous propose d’accompagner en terrain de connaissance l’enquêteur dans ses investigations, de suivre ses avancées et de déduire en même temps que lui, si ce n’est d’anticiper, quels éléments permettront l’arrestation du malfaiteur sans lui laisser d’échappatoire. La série américaine, tout particulièrement, conduit à priori le spectateur à postuler qu’il a vocation à être associé d’emblée aux investigations en sollicitant sa sagacité intellectuelle pendant que l‘inspecteur accumule des observations semblant souvent de prime abord anodines, mais qui vont finir par s’avérer déterminantes. Les preuves qui perdent le criminel ne sont cependant généralement connues que du détective, n’étant dévoilées façon Deus ex machina au spectateur seulement que lorsqu’il le confond, telle qu'une empreinte digitale relevée sur un objet lié au crime, de telle sorte que celui-ci reste passif comme s’il assistait à un tour de magie, contraint d’attendre que le prestidigitateur habile dévoile ses atouts cachés, et il réalise au bout de plusieurs épisodes qu’il est donc inutile qu’il s’efforce de chercher de lui-même à identifier les indices laissés par le coupable qui permettront de l’incriminer – à noter que dans l’épisode Les surdoués, c’est le meurtrier lui-même qui se livre en expliquant par vanité au policier les derniers détails qui lui manquaient pour permettre son arrestation. 

"Et voilà, c'est tout simple !  Comment, vous n'aviez pas trouvé les preuves depuis chez vous ?..C'était pourtant évident, non ?...Bon, c'est vrai, je ne vous ai peut-être pas tout dévoilé jusque-là..."

    Un exemple particulièrement significatif de la longueur d’avance que conserve l’investigateur sur le public en donné par l’épisode Jeu d’identité. C’est dans l’épilogue que le Lieutenant Columbo révèle un certain nombre de preuves que le spectateur ne pouvait deviner, lesquelles démentent l’alibi du criminel interprété par Patrick McGoohan selon lequel il affirmait être en train d’enregistrer un discours à une heure avancée dans son bureau le soir où la victime était assassinée, tel le bruit d’un store qu’on baisse pour se protéger du soleil à son zénith, et la participation des Chinois aux Jeux olympiques que ne pouvait connaître le coupable au moment où il dit avoir rédigé le texte – toute allusion précédente à cet évènement a d’ailleurs été supprimée de la version traduite, rendant cet élément probant réellement inattendu dans le dénouement pour le téléspectateur francophone.

Les investigations du Lieutenant Columbo (Peter Falk) se resserrent inéluctablement sur Nelson Brenner (Patrick McGoohan), à gauche sur la photo, tandis qu'il décortique sur un magnétophone l'enregistrement du discours dicté par le suspect à sa secrétaire, lequel comporte notamment le bruit du store visible au fond de la pièce, un indice accablant au regard de l'alibi.

    La série déroge quelquefois à cette règle en laissant filtrer un indice pour les plus attentifs, comme, à propos d’un autre alibi enregistré, dans l’épisode Attention : le meurtre peut nuire gravement à la santé dans lequel, alors que le présentateur Wade Anders interprété par George Hamilton a prévu d’enregistrer d’avance au travers de la caméra de contrôle une seconde sortie des studios de télévision destinée à être substituée à celle du lendemain soir pendant lequel il assassinera son maître-chanteur en l’amenant à fumer une cigarette empoisonnée, un employé du jardinage lui indique qu’il va tailler toutes les haies, ce qui implique que celle de l’entrée sera raccourcie et ne correspondra dès lors plus à celle buissonnante fixée sur la pellicule censée avoir été enregistrée le soir suivant.



Autre enregistrement, cette fois visuel, utilisé par Columbo pour défaire son suspect, le présentateur d'une émission dénonçant les criminels, Wade Anders interprété par George Hamilton dans Le meurtre peut nuire gravement à la santé ; en haut, enregistrement par la caméra de la sortie du studio du criminel le soir du crime à une heure très tardive, en dessous, le détective pointe la haie taillée sur l'enregistrement le montrant arriver dans le bâtiment au début de la journée, démonstration irréfutable que la première est antérieure à la seconde et que la bande a donc été trafiquée pour falsifier ses horaires au moment fatidique.

    Une autre piste est proposée au spectateur le plus perspicace dans Meurtre au champagne. Le chimpanzé provisoirement hébergé dans l'appartement de la victime ne peut s'empêcher de toucher les objets métalliques, aussi Columbo peut prouver que l'assassin joué par Rip Torn était bien dans l'appartement de son neveu dont il voulait s'emparer de la fortune gagnée au loto en mettant en évidence les empreintes du singe sur la médaille du déguisement que l'oncle sortant de sa fête costumée portait, prouvant qu'il se trouvait bien à son domicile durant la soirée du meurtre.

    Exceptionnellement, le téléspectateur critique pourrait en revanche mettre en question le raisonnement du policier. Dans l’épisode Couronne mortuaire, Columbo estime que la suspecte apparente n’a pas pu déplacer seule le corps de son amant pour simuler un accident de voiture, car une femme relativement menue n’en aurait pas les capacités physiques, alors que dans le second épisode pilote, Rançon pour un homme mort, l’épouse qui tue et traîne le corps de son mari jusqu’à sa voiture, interprétée par Lee Grant, n’a pas une constitution ostensiblement plus robuste. Plus curieusement, le Lieutenant Columbo avoue à la fin de l'épisode Criminologie appliquée incapable de découvrir le mobile de l'assassinat d'un professeur par deux étudiants dont il avait percé la tricherie à l'examen.


Dans le second pilote de Columbo, Rançon pour un homme mort, l'avocate Leslie Williams (Lee Grant) assassine son mari et traîne son corps jusqu'à sa voiture, action que l'inspecteur jugera par la suite impossible pour la suspecte de l'épisode Couronne mortuaire, certes écrit par un scénariste indépendant mais néanmoins supervisés tous deux par les créateurs de la série William Link et Richard Levinson.

    Dans nombre d’épisodes de l’Inspecteur Derrick, le spectateur est lui aussi cantonné à suivre les investigations de la police de Munich quand bien même il est témoin en temps réel des agissements des criminels. Les deux détectives ont en commun de pressentir rapidement l’identité du coupable, et se trompent très rarement ; il arrive même quelquefois à l’Inspecteur Columbo de se départir de sa fausse candeur pour asséner au suspect « Je sais que c’est vous le coupable, même si je ne peux le prouver » tout en lui laissant l’impression que son répit sera de courte durée. En dépit de l'affrontement psychologique souvent intense entre l'inspecteur et son suspect, le policier américain se repose sur des éléments matériels et finira toujours pas trouver le ou les détails qui vont démentir l’alibi en apparence incontournable et amener à acculer le criminel. Dans la série Inspecteur Derrick, il est la plupart du temps substitué à cette technicité du regard de l’investigateur l’élément humain comme facteur primordial, souvent parce que Derrick pousse les protagonistes dans leurs retranchements jusqu’à ce qu’ils laissent enfin la vérité surgir. Si, dans les cas où il ne lui a pas été donné d’assister au crime, le public peut partager la suspicion de l’inspecteur, il lui est là aussi difficile d’anticiper les suites de l’enquête, car bien souvent, les soupçons de Derrick ne seront effectivement avérés que lorsqu’un témoin ou un complice passera aux aveux, mettant à bas l’emploi du temps fictif de l’auteur du crime ou bien avouant lui-même sa participation au forfait.

Dans Inspecteur Derrick, le téléspectateur est moins explicitement incité à anticiper les avancées de l'enquête qu'à se vouer à la capacité de l'Inspecteur de faire naître la vérité en faisant psychologiquement accoucher les suspects de leurs secrets refoulés (ici Mathieu Carrière dans l'épisode Bienvenue à bord) .

    Au travers de cette orientation, la série Inspecteur Derrick manifeste sans doute plus clairement que Columbo que l’objectif principal des enquêtes ne consiste pas à stimuler la perspicacité du spectateur de manière à ce qu’il se sente impliqué dans l’élucidation des affaires, mais à le prendre à témoin de la manière par laquelle le crime fragmente la société. Dans un nombre important d’épisodes, ce sont moins les détours de l’enquête menée par l’inspecteur Derrick qui focalisent l’attention du spectateur que la façon dont vont agir les personnes impliquées directement ou indirectement dans l’affaire, voire leur évolution psychologique.

    Ainsi, la résolution dans Une affaire étrange ou dans Lena accapare finalement moins l’attention que le devenir des rapports pervers entre le mari trompé coupable d’assassinat et le couple illégitime qui le tient totalement sous son emprise en portant l’indécence à son paroxysme dans le premier épisode, ou la relation fort surprenante qui s’établit dans le deuxième entre le veuf et sa belle-sœur honnie dans un renversement assez étonnant mais néanmoins amené avec subtilité grâce à la finesse de l’écriture et de l’interprétation. De la même façon, dans Les enfants de Rasko, l’attention du spectateur est moins attirée par les investigations que mène Derrick que par le dilemme qui tenaille un frère et une sœur, tentés de dénoncer celui qui a causé la mort de leur père mais refrénés en raison de leur complicité initiale avec l’auteur des faits, ce que l’intéressé ne manque par de leur rappeler pour les dissuader de se confier à la police. Dans Un triste dimanche et Le lendemain du crime, c’est le fils, respectivement le complice d’un cambriolage qui se termine mal et le coupable d’un meurtre passionnel, qui, tenaillé par le remord, finit par se confesser à l’inspecteur, mettant à bas l’alibi que le père avait forgé pour occulter leur responsabilité ainsi que se couvrir lui-même dans le premier cas.

Michael Rasko (Volker Eckstein) tente en vain d'apaiser sa sœur Anja (Anja Jaenicke), les deux adolescents étant accablés par la mort de leur père qu'ils ont inconsidérément causée. Lorsque son meurtrier est assassiné, l'inspecteur Derrick qui a deviné la vérité les soupçonne immédiatement et ne relâche pas la pression sur eux dans l'intention d'obtenir leurs aveux, mais c'est un évènement imprévu qui clôturera finalement cette sombre affaire.

    Dans certains épisodes, l’Inspecteur Derrick devient même un témoin passif ne pouvant que souhaiter qu’un assassinat ne survienne pas, sans être réellement en mesure de l’empêcher. Il est ainsi réduit à s’inquiéter de la manière dont peut agir un jeune homme impatient interprété par Mathieu Carrière dans Une vieille histoire qui veut absolument faire justice à l’encontre d’un homme dont il est convaincu qu’il a assassiné son père pour lui dérober ses biens à la fin de la guerre, en dépit de la difficulté à rassembler des preuves incontestables. De la même façon, dans Rencontre avec un meurtrier, le policier ne peut incriminer officiellement le mari jaloux dont il est persuadé qu’il a abattu l’amant de son épouse et dont il craint, à défaut qu’il s’en prenne aussi à cette dernière, cible trop évidente, que sa rancœur ne finisse par resurgir de manière incontrôlable en transférant une rage difficilement réprimée sur une femme innocente, la suite prouvant que l’analyse psychologique du policier était juste. Un troisième cas est fourni par l’exemplaire épisode Le Sous-locataire, dans lequel il est, malgré l’insistance d’un ancien collègue, impuissant à agir officiellement contre un ancien détenu qui tient sous une emprise glaçante et implacable toute la maisonnée de celle qui fut sa femme, espérant avoir un motif pour intervenir avant que l’irrémédiable soit commis, mais la peur paralyse toute parole et Buschmann (Peter Kuiper) prend garde de ne causer aucun acte concret punissable, jusqu’à ce que le huis-clos explose finalement.



Chargé de suivre la réinsertion de Walter Buschmann (Peter Kuiper), Leo Kurat (Fritz Strassner) se montre très inquiet de voir l'inquiétant personnage chercher à s'incruster chez son épouse et alerte son collègue Derrick (photo du milieu), mais celui-là ne dispose d'aucune marge d'action dans le cadre de ses fonctions.

    On pourrait conclure que, d’une certaine façon, la série Columbo leurre quelque peu le spectateur en centrant essentiellement les épisodes sur les investigations, lui laissant même parfois entrevoir quelques nouveaux éléments hors de la présence du policier, de sorte qu’il se sente fallacieusement incité à exercer son esprit d’analyse, la promesse implicite d’accompagner voire de devancer l’investigateur dans ses déductions en cherchant les moyens de confondre le coupable étant néanmoins souvent déçue comme on l’a exposé plus haut, celui-là étant forcé d’attendre le dévoilement par le policier infaillible de sa carte maîtresse dans le dénouement. Le téléspectateur attentif ne peut manquer de réaliser qu’à la différence de ceux de Columbo, les épisodes de la série Inspecteur Derrick reposent souvent moins sur les enquêtes même si celles-ci sont partie intégrante de la structure narrative et formelle des épisodes, que sur la mise en évidence de situations et des fragilités qu’elles révèlent. De la sorte, il est moins porté à tenter vainement de cerner les preuves accablantes pour le coupable et davantage incité à s’immerger dans l’atmosphère d’une peinture psychologique et sociale édifiante.


mardi 31 mai 2022

DES EPISODES MEMORABLES


    Les téléspectateurs ayant visionné occasionnellement des épisodes d'Inspecteur Derrick et de Columbo peuvent penser que ces deux séries contemporaines sont assez comparables par leur rythme posé mettant en valeur un policier tenace, et envisager par là-même celle conçue par Herbert Reinecker au milieu des années 1970 comme un succéda allemand inspiré du célèbre modèle américain, même si elle se situait dans la lignée de sa série Der Kommissar. Il existe en réalité bien des différences sur lesquelles on aura l'occasion de revenir plus en détail dans de futurs articles mais, dans l'immédiat, on peut déjà les envisager dans leur ensemble, considérer la manière dont les épisodes se déclinent dans chacune, afin de déceler si ceux-là dénotent une grande unité ou au contraire ressortissent de plus libres variations.

    Les épisodes de la série Columbo obéissent à un modèle éprouvé selon un schéma réitéré assez systématiquement presque à la manière d'un exercice obligé, bien que ses concepteurs parviennent à éviter la monotonie au travers des différents détours des investigations et des variations comme lorsqu'un criminel tente d'impliquer un faux coupable à sa place avec des indices fabriqués tel Dale Kingston (Ross Martin) dans l'épisode Plein cadre et Patrick Kinsley (David Rasche) dans La griffe du crime, de sorte qu'un grand nombre de téléspectateurs prennent plaisir à les revoir régulièrement. On se remémore davantage certains d'entre eux au travers du visage connu de l'acteur qui incarne le criminel, comme Donald Pleasance, Robert Culp, les vedettes de Star Trek, Leonard Nimoy dans un épisode, William Shatner dans deux, des Mystères de l'Ouest, Ross Martin et Robert Conrad, ce dernier dans un épisode qui a inspiré un vrai assassinat (1), celle de Cosmos 1999 (Space 1999) et Mission Impossible, Martin Landau, ou encore des amis proches de l'acteur principal, John Cassavetes et Patrick McGoohan, le créateur et interprète principal de la série Le Prisonnier (The Prisoner) qui ne manque pas de présence, tout comme Jack Cassidy moins connu en France, ces deux derniers composant à plusieurs reprises des personnages remarquables - à la différence de Jeff Goldblum qui ne fit qu'un bref passage comme figurant, et on aperçoit aussi dans des rôles secondaires Vincent Price, Leslie Nielsen, Donald Moffat et Kevin McCarthy (2). On aura d'autres occasions d'évoquer par la suite la série américaine pour la comparer à sa concurrente allemande.

    Au sein de la série Inspecteur Derrick, des épisodes laissent une imprégnation plus durable dans la mémoire du spectateur, que les acteurs incarnent des personnages réellement effrayants comme y excellent les acteurs Peter Kuiper, Wilfried Baasner ou Gerd Hauk, ou bien au contraire qui nous émeuvent par leur candeur ou la tragédie qui les éprouve, que la situation dépeinte soit singulière comme dans Une affaire étrange, ou encore que le dénouement nous surprenne par une fin tragique subite, ou plus rarement un épilogue heureux inattendu. 

                                     Petit visuel composé d'images d'épisodes mémorables.     

        A  la différence des soixante-neuf enquêtes de Columbo qui, en dépit du renouvellement constant des scénaristes qui ont succédé les uns aux autres lors des dix-huit saisons, voient toujours le détective intensifier ses investigations autour du suspect selon un schéma un peu similaire, les épisodes  d'Inspecteur Derrick excipent d'une certaine variété et tiennent parfois en haleine le public en laissant subsister jusqu'au dénouement un doute quant à la tournure des évènement. Ainsi, on ne peut réduire ceux-là à un unique fil conducteur - ce cadre que les scénaristes américains surnomment "la Bible" et qui définit un cahier des charges que les auteurs doivent respecter pour garantir l'unité du programme. Seul concepteur des intrigues de la série allemande, Herbert Reinecker s'est à l'inverse attaché à opter pour différentes approches pour les 281 histoires contées au fil des 25 saisons. On peut suggérer une esquisse de typologie des épisodes d'Inspecteur Derrick en se proposant de les décliner selon trois catégories. 

    Un premier type repose principalement sur l'enquête policière elle-même, au travers des investigations et de la découverte des indices, laquelle est souvent moins ennuyeuse que ne le prétendent les détracteurs, amenant l'étau à se resserrer autour du meurtrier finalement identifié comme dans La valise de Salzbourg et Mort d'un musicien, ou bien simplement traqué comme l'évadé de La cavale ou les ravisseurs dans Nuit blanche

    D'autres épisodes se rapprochent beaucoup de ceux de Columbo, avec un duel sans merci entre le criminel et Derrick qui a deviné sa responsabilité et va s'efforcer de le démasquer, en faisant souvent appel à la pression psychologique ; c'est le cas de nombre d'épisodes brillants comme Le diplomate, Une affaire étrange et les particulièrement intenses Le lendemain du crime et La fête. On évoquera quelques-uns de ceux-ci en passant en revue certains des interprètes qui contribuent grandement à concrétiser ces confrontations étouffantes. 

    Enfin, la troisième catégorie d'épisodes met au second plan l'intrigue policière elle-même, voire délaisse quelque peu les investigateurs, pour se concentrer sur le climat psychologique, révéler les tensions et les contradictions qui déchirent des personnages pris dans une affaire criminelle. Ceux-là sont tout particulièrement remarquables, et les acteurs au jeu d'une densité admirable illustrent ces situations en leur conférant une portée exemplaire. Un des exemples les plus évident en est Le sous-locataire, dépourvu de toute violence mais particulièrement prenant, alors que l'Inspecteur Derrick qu'un ancien collègue presse d'intervenir n'a pas la possibilité d'agir. Les plus notables de ces épisodes seront ici détaillés. Un certain nombre d'entre eux se rattachent à plusieurs catégories à la fois de cette typologie et, naturellement, les plus remarquables seront également évoqués.

      Il n'entre pas dans la vocation du présent site de traiter  exhaustivement des 281 épisodes, d'autant qu'il existe à présent un excellent site français consacré notamment aux séries"Le monde des Avengers"(3), qui les détaille dans le large espace qu'il alloue au programme qui nous occupe ici, mais plus modestement d'attirer notamment l'attention des curieux sur quelques dizaines d'entre eux qui se signalent davantage à notre attention, afin de les remémorer aux téléspectateurs qui les auraient vus et de donner aux autres l'envie de les découvrir. L'intrigue y sera exposée de manière concise, et l'article s'efforcera d'en faire ressortir l'enjeu, d'en révéler la perspective qui nous amène à nous sentir concernés par les protagonistes et les situations en lesquelles nous pourrions nous retrouver, nous entraînant dans certains dilemmes qui interrogent sur la nature humaine. 

D'autres épisodes remarquables qui seront également évoqués sur le site.

       Comme indiqué plus haut, quelques articles reviendront aussi sur certains interprètes qui se sont distingués parmi une distribution souvent très brillante, de manière à compléter de manière croisée cette évocation de la série Inspecteur Derrick, pour en mettre en évidence son univers qui mérite que l'on porte sur lui autre chose qu'un dédain méprisant, afin qu'on réalise que son succès populaire n'est pas dû au désœuvrement de spectateurs passifs, mais que ce véritable phénomène issu de l'esprit d'un seul homme n'a pas usurpé sa place dans la culture populaire, et qu'on en découvre toute la profondeur signifiante.

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(1) voir le premier paragraphe de l'hommage détaillé consacré au scénariste et réalisateur Larry Cohen : https://creatures-imagination.blogspot.com/2019/04/un-brillant-cineaste-independant.html

(2) à noter qu'un hommage partiel aux trois derniers a été mis en ligne à l'occasion de leur disparition sur le blog creatures-imagination, voir le sommaire de celui-ci : http://creatures-imagination.blogspot.com/search/label/sommaire

(3) http://www.lemondedesavengers.fr/hors-serie/annees-1970/inspecteur-derrick


mardi 23 février 2021

LA MECANIQUE D'UNE SERIE PLEBISCITEE

 


Les enquêtes de l'Inspecteur Derrick, faisant suite à la série en noir et blanc, Der Kommissar, dans laquelle Fritz Wepper interprétait déjà l'adjoint, ont été tournées entre 1974 et 1998, et comportent 281 épisodes d'une heure. La série Derrick rencontra un succès mondial lui valant d'être diffusée dans plus de 100 pays, et le blog de langue allemande consacré à la série en témoigne avec la visite d'internautes venus des régions les plus diverses de la planète, comme illustré précédemment. Six ouvrages en langue allemande lui ont été consacrés.

Les deux acteurs principaux d'Inspecteur Derrick célèbrent le tournage du deux-centième épisode de la série.

Les épisodes orchestrent fréquemment une opposition entre la vie quotidienne dans ce qu'elle peut présenter d'ordinaire voire même parfois d'un peu ennuyeux, notamment dans le milieu bourgeois plutôt étoffé de Munich où prime le respect des convenances, et ce qui contribue à le fissurer, les tentations pour des satisfactions plus matérielles, celle du gain aussi bien que l'emballement des sens par l'attrait du sexe ou de la drogue poussant à transgresser les limites, à se vendre ou même à tuer le cas échéant. 

Ces tendances minant la bonne marche de la société y sont assez fréquemment encouragées par l'internationalisation du crime et des flux d'argent que permet l'effacement des frontières, même s'il s'agit ici souvent davantage de la perméabilité avec les pays limitrophes que de la dilution dans la mondialisation qui n'est encore qu'esquissée. Cette relative globalisation qui exerce son influence sur la bonne société tout comme la relativisation des normes établies dans un monde plus anomique contribuent à dévoyer davantage les individus pris dans une modernité déstabilisatrice, même si à l'occasion, le scénariste fustige aussi quelque peu la rigueur intransigeante des tenants les plus traditionalistes de l'ordre moral.

Outre les scénarios souvent ingénieux d'Herbert Reinecker et le talent des acteurs récurrents venus du théâtre réapparaissant régulièrement au fil des épisodes pour incarner de nouveaux personnages parfois très marquants, le plébiscite international de la série Inspecteur Derrick tient aussi aux thèmes éternels qu'elle convoque et qui sont susceptibles de trouver quelque écho chez le spectateur, l'envie, la jalousie, l'amour méprisé, l'amitié trahie, la culpabilité, la peur, l'aliénation au travers de la dépendance à la toxicomanie ou à l'alcool, l'empathie, le remord ou encore la rédemption, lesquels ne représentent pas seulement des éléments de l'intrigue et de l'enquête policière, mais sont au centre même de l'intérêt de nombre d'histoires et c'est très probablement pour cette raison que cette série ne sera jamais réellement démodée.

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mardi 5 janvier 2021

RENDEZ-NOUS INSPECTEUR DERRICK, UNE SERIE MESESTIMEE

    

Couverture d'un livre consacrant le succès de la série produite par la ZDF Outre-Rhin, avec en sous-titre la phrase mythique bien que totalement imaginaire "Harry, va chercher la voiture !".

        La série Inspecteur Derrick est une série moquée par snobisme ou par bêtise par ceux qui bien souvent ne la connaissent que de réputation, en véhiculant complaisamment et sous l'effet du psittacisme un lieu commun à son encontre, celui d'un programme soporifique, dénué du moindre attrait, avec une lourdeur caricaturale. Elle porte cependant un regard percutant sur notre époque, jusqu'à se faire régulièrement porteuse d'une certaine profondeur philosophique, illustrant des dilemmes résultant du conflit entre les repères traditionnels et la société moderne. Inspecteur Derrick rencontra un succès mondial, grâce à ses acteurs secondaires remarquables qui savaient interpréter de vrais personnages représentant des archétypes incarnés de l'humanité, dans des prestations dignes du meilleur théâtre (Peter Kuiper, Peter Fricke, Dirk Galuba, Sky Dumont, Peter Dirschauer, Traugot Buhre, Pinkas Braun, Klaus Schwarzkopf, Wolfgang Wahl, Stefan Wigger, Ursula Lingen, Ralph Schermuly,..) et la qualité des scénarios d'Herbert Reinecker, souvent à mi-chemin de Shakespeare par ses tragédies signifiantes et de La Bruyère par les profils psychologiques dépeints - sans oublier les mélodies mélancoliques de Frank Duval. La médiocrité n'était pas dans la série mais dans la condescendance puérile que "les beaux esprits" portaient sur ce qui se rapproche parfois d'un joyau télévisuel. 

      L’essai consacré à la série par Thomas Sandoz, "Derrick : l'ordre des choses", n'étant pas accessible en ligne, de même que la page de présentation qui figurait initialement sur son site, ce blog a vocation à proposer une alternative à l'internaute francophone qui éprouve de l'intérêt pour cette série qui a duré 24 ans, de 1974 à 1998, issue de l'esprit d'un seul homme, et qui a été rediffusée régulièrement dans le monde entier jusqu'à la révélation embarrassante sur le lointain passé de l'interprète principal, bien après sa disparition. S'il existait des sites allemands mais aussi italiens entièrement consacrés à la série, on ne trouvait jusqu'à récemment pas d'équivalent français, ce qui représentait une certaine injustice. Au moment où naissait le projet de ce site dans l'intention d'y remédier, l'auteur s'aperçut qu'un site français, "Le monde des Avengers" (*), avait mis en ligne un descriptif de la série passant en revue l'intégralité des épisodes. Cette découverte ne signa néanmoins pas la fin de l'entreprise étant donné que son objet, l'appréhender en quelque sorte de manière transversale, était notoirement distinct et que les deux sites avaient donc naturellement vocation à être complémentaires, le premier offrant un guide exhaustif des épisodes classés par saisons avec leur titre français aussi bien qu'allemand, indispensable outil pour se repérer dans cette profusion, et ce blog optant pour une vision plus globale de l’œuvre privilégiant certains approfondissements ponctuels, cette exploration sélective de l'univers d'Inspecteur Derrick étant complétée par des aperçus sur ses créateurs et interprètes. S'il n'est pas en effet dans l'objet du présent blog de restituer la richesse de la série dans toute son exhaustivité, on s'efforcera de proposer quelque éclairage sur cette œuvre exagérément et facilement qualifiée d'"ennuyeuse" ainsi que sur ceux qui ont participé à sa réussite, afin de contribuer à en proposer une vision plus pertinente, en souhaitant que ceux qui l'apprécient trouvent quelque plaisir au travers du prolongement de leur intérêt en ces pages, et en cherchant éventuellement à faire découvrir quelques aspects de cette série singulière aux esprits libres désireux de se forger leur propre opinion.

"Ne quittez pas, votre programme va commencer..."