samedi 22 mai 2021

IL INCARNAIT LE JUSTICIER TRANQUILLE MAIS OBSTINE DE LA TELEVISION ALLEMANDE

 

         Horst Tappert a endossé le rôle de l’Inspecteur Stefan Derrick tout au long de la série, devenant la figure emblématique de la télévision allemande et, en dépit de son peu d’exubérance, un acteur admiré, notamment auprès d’un public féminin d’un certain âge, sensible à son maintien et à son élégance, même s’il n’était pas aussi sémillant et malicieux que Patrick McNee incarnant au travers de John Steed le prototype du gentleman britannique dans Chapeau melon et bottes de cuir (The Avengers). La série Derrick se déroule dans un monde totalement réaliste à l’instar de la plupart de celles mettant en scène des détectives et son personnage de policier se présente comme un homme relativement ordinaire, auquel son interprète se confondant avec son personnage confère une normalité sans aspérité, paraissant ainsi proche du public auquel elle est destinée, bien que peu de productions ayant une approche similaires ont rencontré un succès mondial comparable. Cette austérité allait jusqu’à être perçue comme glaciale par ceux qui sont rétifs à la série, et il est vrai que la rigueur toute germanique de Stefan Derrick, bien que non dépourvue d’humanité, relève à titre de comparaison d’une tonalité assez différente du caractère plus chaleureux que Tom Selleck a apporté au détective Thomas Magnum dans la série américaine éponyme, lequel suscitait spontanément la sympathie.

            L’acteur allemand est né le 26 mai 1923. Son père travaillait à la Poste. Au sortir de l’école élémentaire, il débute dans la vie active comme employé de commerce. Après avoir été réserviste auprès d’une batterie anti-aérienne, il est au cours de la Seconde Guerre mondiale incorporé dans une unité combattante sous l’uniforme de la SS dans des circonstances qui ne sont pas connues et ne permettent pas de savoir s’il s’agissait d’un engagement volontaire étant donné que le régime aux abois finit par enrôler de force les jeunes Allemands dans la SS, comme évoqué dans l’article précédent sur la controverse dont la série fit assez récemment l’objet. Dans ses mémoires, il avait prétendu être ambulancier mais les archives ont indiqué qu’il avait été affecté avec le grade de simple soldat sur le front de l’Est en 1943 dans une unité motorisée, et il est peu de temps après blessé au dos et au bras en Ukraine lors de la Troisième Bataille de Kharkov qui oppose les troupes allemandes et soviétiques dans un affrontement impitoyable. À l’issue de quelques jours de convalescence, il est renvoyé à l’arrière, en Pologne puis en Autriche.

            Après la guerre, Horst Tappert est employé quelque temps comme ouvrier spécialisé et il est aussi amené à tenir la comptabilité d’un théâtre ; son intérêt pour la scène se met à croître et en 1946, il suit des cours pour devenir comédien. À la fin des années 1940, il apparaît dans différentes pièces et dix ans plus tard il s’essaie au petit et au grand écran, où il est amené à interpréter alternativement des rôles de policiers et de truands, quelquefois des ecclésiastiques. 

Horst Tappert à la fin des années 1950

Horst Tappert barbu dans une interprétation théâtrale.


Horst Tappert en 1968 dans la pièce Ein lückenloses Alibi (en haut), un intérêt pour le théâtre qu'il réaffirme en 1986 dans Die leichten Herzens sind (en bas).

        Il incarne pour la première fois un détective en 1961 dans la série Zu viele Köche. Il joue un rôle de bandit en 1962 dans Er kann’s nicht lassen, au côté d’Heinz Rühmann (lequel partagera en 1966 la vedette avec Fernandel dans la comédie La bourse et la vie de Jean-Pierre Mocky) puis un personnage sinspirant de l'organisateur de la célèbre attaque du train postal Glasgow-Londres du 8 août 1963 réalisée sans effusion de sang dans la série télévisée en trois parties, Die Gentlemen bitten zur Kasse.


Horst Tappert dans le rôle du malfaiteur organisant le vol de l'argent acheminé par le train postal depuis Glasgow jusqu'à Londres, un personnage qui inspirera aussi celui du Cerveau réalisé en 1969 par Gérard Oury et incarné par David Niven au côté du duo formé par Bourvil et Jean-Paul Belmondo, dans lequel on retrouve des scènes similaires.

Horst Tappert dans un autre de ses rôles de gangsters dans Le Château des chiens hurlants (Der Hund von Blackwood Castle), film noir dans une ambiance d'épouvante parfois non dénuée d'humour d'Alfred Vohrer de 1968, une adaptation cinématographique d'un roman d'Edgar Wallace par le futur scénariste d'Inspecteur Derrick, Herbert Reinecker.


L'acteur interprète la même année un policier, l'Inspecteur Perkins, dans un autre film noir non dénué d'humour quelque peu grotesque dans Le Gorille de Soho (Der Gorilla von Soho) d'Alfred Vohrer, avec son criminel sévissant sous un déguisement. L'auteur Edgar Wallace a été associé à un autre gorille célèbre puisque peu avant de décéder des effets du diabète et d'une double pneumonie, l'écrivain avait achevé la version initiale du scénario du King Kong original.

Une bonne soeur décidée à ne pas rester sans défense, des années avant la religieuse particulièrement énergique se confrontant à la reine des démons Lilith dans le film d'épouvante La Nuit des démons 2 (Night of the Demons 2) de Brian Trenchard-Smith.


Une impression de Double meurtre dans la Rue Morgue, avec ce malfaiteur déguisé en gorille.

Le visage défiguré du malfaiteur principal.

Dans Le Gorille de Soho, Horst Tappert donne notamment la réplique à Ralf Schermuly qui figurera en bonne place dans cinq épisodes d'Inspecteur Derrick.


Incarner de nouveau le service de la loi dans Le Gorille de Soho ne met pas le personnage incarné par Horst Tappert à l'abri des situations périlleuses, à fortiori lorsqu'il est pris en tenaille par les armes de ses ennemis - l'inspecteur Derrick auquel l'acteur prête ses traits dans la série éponyme fera face à plusieurs tentatives d'assassinats.


Horst Tappert retrouve l'année suivante le rôle de l'Inspecteur Perkins dans L’homme à l’œil de verre (Der Mann mit dem Glasauge) réalisé en 1969 d'après un roman d'Edgar Wallace, qui comporte parmi la distribution Fritz Wepper qui deviendra son adjoint dans la série Inspecteur Derrick.



Dans Sieben Tage Frist, une enquête ayant pour cadre un internat dans lequel règne une camaraderie virile parfois à la limite de l'équivoque (certains laissent d'ailleurs entendre que le réalisateur Alfred Vohrer aurait pu être homosexuel), Horst Tappert interprète l'inspecteur en chef Klevenow, moins policé que le personnage éponyme qu'il incarnera dans Inspecteur Derrick, n'hésitant pas à cracher fort inélégamment ses bouts de cigare, l'acteur n'y apparaissant pas particulièrement à son avantage.

Horst Tappert pose à l'occasion de la promotion du film Sieben Tage Frist en 1969 avec le réalisateur Alfred Vohrer (à droite). Celui-là, enrolé dans la Wehrmacht et qui perdit son bras droit en 1941 sur le front russe, a réalisé plusieurs adaptations des romans d'Edgar Wallace avec Horst Tappert, Le Château des chiens hurlants, Le Gorille de Soho et L’homme à l’œil de verreainsi que pas moins de 28 épisodes d'Inspecteur Derrick dont un certain nombre d'entre eux particulièrement marquants tels que Pricker, Choc et Mort d'une fan. A l'extrème gauche sur la photo figure l'acteur Joachim Fuchsberger, qui fut la vedette de la mini-série Der Tod laüft hinterher en 1967, deuxième collaboration entre le producteur Helmut Ringelmann et le scénariste Herbert Reinecker, promise à se répéter à de multiples occasions, notamment au travers d'Inspecteur Derrick.

Photo de tournage d'une petite fable morale réalisée en 1967 par Jerzy MacHeißer Sand auf Sylt, dans laquelle Horst Tappert incarne un chef d'entreprise frappé par la crise de la quarantaine, qui rejoint une jeune femme émancipée sur l'île de Sylt en mer du Nord dans une petite communauté naturiste avant de revenir dans le droit chemin.

Petit intermède comique à l'occasion de Der Kapitän en 1971, dans lequel Horst Tappert retrouve Heinz Rühmann (à gauche), incarnant le Captaine Wilhelm Ebbs, soudain en charge d'un paquebot de luxe à l'opposé des cargos dont il était jusque-là responsable ; les scènes réalisées au Studio Bavaria de Munich ont été complétées par un tournage à Kiel et en Méditerranée pour les plans extérieurs.

Horst Tappert a tourné sous la direction du réalisateur espagnol Jesus Franco surtout connu pour ses films érotico-horrifiques, à l'occasion de trois productions hispano-germaniques à l'ambiance policière au début des années 1970, Crimes dans l'extase (Sie tötete in Ekstase) avec une psychopathe qui annonce celle de Basic Instinct, Le Diable vient d'Akasava (Der Teufel kam aus Akasava) avec sa pierre philosophale et Horst Tappert dans le rôle du Docteur Andrew Thorrsen (voir photo ci-dessus) et en 1972, Der Tödesrascher von Soho, dans lequel il interprète un agent du FBI corrompu, ancien trafiquant de drogue, qui accomplit sa vengeance en l'empoisonnant ses anciens complices auxquels il reprochent de l'avoir entraîné dans la toxicomanie.*. 

 Lorsque le producteur Helmut Ringelmann décide de produire la série Derrick pour la chaîne allemande ZDF en faisant de nouveau appel au scénariste de sa série précédente Der Kommissar, Herbert Reinecker, il recrute Horst Tappert qui y avait fait de fréquentes apparitions, et pour le seconder Fritz Wepper qui y incarnait déjà l’inspecteur Harry Klein. Tappert prête son autorité assez flegmatique et quelque peu guindée au détective de cette série qui se veut résolument psychologique, comme s’obstinent à ne pas le comprendre les esprits forts qui ironisent sur le rythme trop lent à leur goût des enquêtes. L’acteur lui-même exprima quelquefois sa lassitude en estimant que son personnage gagnerait à être plus dynamique et il déplora que la série comporte de plus en plus de dialogues à dimension philosophique. Cependant, celle-là séduisit rapidement un large public, fut traduite en douze langues et diffusée dans 108 pays, aussi Helmut Ringelmann soutint indéfectiblement son scénariste, bien conscient qu’il représentait la pièce maîtresse de cette alchimie miraculeuse qui a porté sa création bien au-delà des frontières de son pays, et l’interprète se fit une raison. 

La première apparition à l'écran d'Horst Tappert dans la série Inspecteur Derrick, découvrant le corps d'une lycéenne assassinée, dans Le Chemin à travers bois (Waldeg), exprimant sa consternation devant l'anéantissement d'une jeune vie.

Horst Tappert confère à son personnage de détective une assurance jamais prise en défaut avec laquelle il résoud ses enquêtes par sa tenacité et sa bonne compréhension de la nature humaine.

La série Derrick dura 25 ans, d’octobre 1974 à octobre 1998, et l’acteur assura lui-même la réalisation de onze épisodes. Comme Leonard Nimoy, interprète de Mr Spock dans la saga Star Trek - lequel a aussi réalisé plusieurs films de la saga, Horst Tappert éprouva des sentiments ambivalents, partagé entre la consécration que lui apportait le rôle et son assignation au personnage dans lequel tendait à l’enfermer cette notoriété. Ce n’est qu’assez récemment qu’il révéla que sa coiffure impeccablement peignée indissociable de l’apparence physique soignée du détective bavarois n’était qu’un complément capillaire, un accessoire dont on le gratifiait avant le tournage pour dissimuler sa calvitie. En dépit de l’assurance inébranlable du personnage qu’il interprétait, la personnalité d’Horst Tappert était plutôt effacée et malgré sa longue association professionnelle avec Fritz Wepper, les deux hommes ne se fréquentaient pas hors des tournages, même s’ils partageaient un intérêt commun pour la chasse, semble-t-il plus obsessionnel chez ce dernier. Horst Tappert dirigea lui-même onze des épisodes de la célèbre série, entre 1986 et 1997.

L'acteur supervisa en personne onze épisodes de la série qui lui assura une notoriété planétaire.

Fausse carte de l'Inspecteur Derrick présentée en 2018 au Musée de l'histoire de la République fédérale allemande à Bonn pour célébrer la part de la série Inspecteur Derrick dans l'audiovisuel germanique, confirmant la place que cette création revêt dans la culture populaire nationale.

Version française de l'autobiographie d'Horst Tapper, évoquant notamment ses années de théâtre et la part un peu envahissante qu'a pris son rôle de l'Inspecteur Derrick.

            À l’âge de 75 ans, Horst Tappert arrête la série Derrick comme il l’avait annoncé, jugeant que son âge lui commande de réduire ses activités, et il limite ses apparitions à l’écran. Il décède dix ans plus tard, le 13 décembre 2008, presque deux années après le scénariste qui l’avait rendu célèbre, lequel s’est éteint le 27 janvier 2007. 

Horst Tappert dans sa propriété en Norvège.

Bien après avoir été un vicaire en 1962 dans Das Halstuch, Horst Tappert interprète un cardinal en 2000 dans Der Kardinal - der Preis der Liebe, un téléfilm dans lequel le Vatican est fragilisé par la mise à jour de la vie privée d'écclésiastiques.

Avoir incarné un cardinal n'a pas empêché les contempteurs d'Horst Tappert de s'acharner sur sa réputation après sa disparition de sorte qu'il ne soit plus en odeur de sainteté et définitivement relégué au purgatoire télévisuel, pion sur l'échiquier de l'histoire rattrapé par les épurateurs de la dernière heure, tandis que les grands groupes économiques qui avaient accompagné l'effort de guerre inhumain du III ème Reich n'avaient à l'inverse jamais été véritablement stigmatisés. L'acteur populaire a emporté avec lui les secrets qu'il aurait pu éventuellement avoir sur la conscience mais qui demeurent en l'état de l'ordre de la spéculation. 

        Horst Tappert avait été marié trois fois, la dernière en 1957, mariage qui a perduré jusqu’à sa disparition à l'âge de 85 ans, victime des effets du diabète. Sa tombe très modeste dans la banlieue Ouest de Munich ne comporte que la simple mention de son nom et la gravure de deux petits masques stylisés faisant allusion à sa profession. L'acteur s’était vu décerner la médaille d’honneur de la police de l’état de Bavière pour son illustration télévisuelle de la défense de la loi au travers de son personnage d’inspecteur de Munich et était une figure estimée lorsqu’il a disparu. 

Horst Tappert honoré par la police bavaroise à l'occasion de son 75ème anniversaire pour son incarnation du policier Derrick, un personnage duquel il se sentait quelque peu prisonnier, mais qui lui a aussi apporté la consécration professionnelle et la notoriété. Les autorités bavaroises avaient envisagé de retirer à titre posthume sa médaille d'honneur de la police suite à la polémique portant sur son passé durant la guerre.

    Il ne se doutait vraisemblablement pas que des années plus tard, et alors qu’il n'avait pas été un zélateur du nazisme comme le fut Herbert Reinecker, sa mémoire serait entachée d’opprobre en 2013 par l’exhumation de sa carrière militaire dans le quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung. Cette justice d’outre-tombe s’attache bien tardivement à mettre en cause un exécutant qui fut peut-être plus le jeu des évènements que véritablement un acteur de cette période effroyable. Cette controverse remue un passé ancien et révolu, formule des questions qui ne trouveront vraisemblablement jamais de réponses, avec cette dénonciation se voulant exemplaire. Subsiste une série tout à fait digne d’intérêt dont Horst Tappert fut avec plus ou moins de réticence la personnification au-delà même de sa participation au programme et à laquelle il demeure à jamais associé.

Horst Tappert au temps de sa gloire reçu avec les honneurs par le Pape Jean-Paul II.



lien du fan club italien d'Horst Tappert : https://horsttappert.com/ (actuellement désactivé depuis la publication)