lundi 6 mars 2023

UN ALIBI INTERESSE ? LENA

L’épisode Lena débute sous l’auspice des suites d’un divorce difficile. Un père qui n’a obtenu la garde de sa fille Agnès qu’un dimanche par mois et qui ne l’accepte pas, Wolfgang Horn (Rolf Becker), la fait appeler par un camarade durant la récréation, lui demandant de sortir rapidement après les cours pour qu’ils puissent passer du temps ensemble. La préadolescente se montre embarrassée. Néanmoins, le père l’attend bien comme il l’a annoncé et il lui demande de monter en voiture avec elle. La jeune fille est réticente, bien consciente que celui-là outrepasse délibérément les droits qui lui sont accordés. Il la pousse un peu brusquement dans le véhicule à la place du passager, s’enquérant de savoir si sa tête n’a pas heurté la carrosserie, tandis que la voiture de la mère se gare un peu plus loin dans la rue. Celle-ci se précipite aussitôt vers eux et extrait l’enfant de la voiture. Les deux adultes se querellent fortement, et chacun tente d’attirer la malheureuse, tiraillée sans ménagement de chaque côté, rappelant la situation du fameux Jugement de Salomon qui amenait le juge à proposer qu’on partage littéralement en deux l’enfant disputé par les deux parties. La scène est malheureusement d’une triste banalité avec ces ex-conjoints ne se supportant plus et réglant leurs comptes sans paraître se préoccuper réellement du mal qu’ils infligent à l’enfant, otage de leur affrontement et dont il n’est fait aucun cas du ressenti.





Un père annonce à sa fille Agnès (Heike Goosmann) qu'il va venir la chercher mais à l'heure de la sortie, la mère, Anita (Beatrice Norden), s'oppose vigoureusement à la violation des dispositions du jugement de divorce.

La situation empire encore puisque, excédé, Horn finit par frapper son ancienne femme, ce qui amène les témoins à intervenir, tandis que la mère et la fille s’en retournent à leur maison. Le lendemain, la femme téléphone à son ex-mari, lui fixant rendez-vous à son domicile vers 15 heures sans lui donner véritablement de motif. Elle a pour intention de le rappeler à ses obligations en présence de son avocat, probablement avec la menace d’entamer une action en justice en vue de le priver de ses derniers droits de père s’il ne se conforme pas à la décision du juge sur la garde qui lui a été accordée. Wolfgang Horn se rend à l’heure dite au domicile familial, entrant sans difficulté, la porte n’étant pas fermée. Il découvre dans le salon le corps de son ancienne épouse, étranglée. C’est alors que l’avocat de celle-ci arrive à son tour et est d’emblée convaincu que celui-là a tué son ancienne femme. Le suspect refuse de rester comme l’avocat lui demande tandis qu’il appelle la police, car il doit aller chercher sa fille. Il ramène celle-là à sa maison sans lui fournir réellement d’explication, la laissant aux bons soins de sa gouvernante, et il téléphone au domicile de son ex-femme pour dire à l’Inspecteur Derrick qui s’est rendu sur place qu’il va le rejoindre.




Horn découvre le corps sans vie de son ex-épouse et en avertit la sœur de la défunte.

L’inspecteur principal partage tout à fait l’avis de l’avocat de la défunte sur la responsabilité de Horn que tout paraît accuser ; il a fait acte de violence à l’encontre de sa femme la veille, et vient d’être trouvé seul en compagnie de son cadavre. Aussi, Derrick amène-t-il Horn au commissariat dans l’intention de le faire arrêter, le sommant d’avouer son crime. L’homme, impulsif, reconnaît ses torts mais refuse obstinément de confesser le meurtre, et le policier est convaincu que la tâche de le confondre définitivement sera difficile car s’il avouait un tel acte, il perdrait définitivement l’affection de sa fille.

Au domicile de la mère demeure seule la sœur aînée de la morte, Lena (Ursula Lingen), une sourde-muette qui consacre tout son temps à faire de la poterie. Elle vivait chez sa tante jusqu’à la mort de celle-ci puis l’épouse l’a fait venir au domicile familial en dépit de l’opposition frontale du mari. L’avis général s’accorde à lui prêter un caractère ombrageux, et il arrive qu’elle jette à terre avec furie certaines de ses poteries. Celle-là se souvient soudain qu’elle a vu entrer dans le jardin un homme peu de temps avant le crime et elle l’écrit sur une feuille de papier qu’elle tend à l’avocat venu s’enquérir de sa situation. Celui-là, persuadé de l’importance cruciale de ce témoignage en dépit de sa prévention contre l’ex-mari, la conduit immédiatement au commissariat de Munich mais à sa différence, Derrick et son adjoint ne semblent pas disposés à accueillir de bonne grâce cette information tant ils persistent à considérer Horn comme le parfait coupable. L’inspecteur principal demande malgré tout au dessinateur du service de réaliser un portrait-robot de l’homme que Lena a prétendu voir, grâce aux indications qu’elle délivre par le biais d’une interprète en langue de signes. La belle-sœur de Horn valide la représentation de l’individu et Derrick est forcé au vu de ces nouveaux éléments de mettre fin à la garde à vue du suspect.




L'inspecteur Derrick est plus que dubitatif lorsque l'avocat de la mère, le Docteur Voss (Romuald Pekny), lui montre le témoignage écrit de Lena qui affirme avoir aperçu un inconnu rôder peu avant le drame.

La fillette étant légalement héritière du domicile laissé par sa mère, et Horn étant toujours son père, celui-là revient habiter le domicile familial avec l’enfant. Il se montre reconnaissant avec sa belle-sœur revêche et sourde avec laquelle il ne s’entendait pas, bien conscient que seul son témoignage lui a permis d’être mis hors de cause en dépit des circonstances accablantes. Il se montre si attentionné qu’il lui achète de nouveaux matériaux et lui fait installer dans la cave un four lui permettant de faire cuire ses poteries. Elle excelle tant dans cette activité qu’un commerçant chez lequel Horn l’emmène la gratifie d’éloges et lui demande de lui vendre l’intégralité de sa future production.


Lena toute à sa passion pour la poterie.

La consécration de Lena, amenée par Horn chez un commerçant (Rudolf Schündler) qui se montre enthousiaste devant les échantillons de poterie créés dans son atelier artisanal. 

L’inspecteur Derrick est convaincu que Lena agit par intérêt, l’appui qu’elle apporte à son gendre devant lui éviter de devoir quitter la demeure et de se retrouver placée dans un établissement pour personnes atteintes d’un handicap. Même si son adjoint paraît peut-être un peu moins affirmatif, Derrick clame sa détermination à prouver la culpabilité de Horn, affirmant vouloir le cibler sans relâche jusqu’à obtenir sa confession, persuadé que l’homme dont le portrait a été dessiné d’après la description de Lena n’existe pas et qu’il n’a été inventé que pour couvrir le beau-frère.

Cette harmonie nouvelle entre Horn et Lena ancre Derrick dans sa conviction qu’ils sont liés par un pacte au moins tacite, au nom d’un intérêt mutuel ; il constate que la belle-sœur qui a trouvé sa place à la maison et est dorénavant proche de son gendre « paraît presque belle » tant son bonheur d’être enfin considérée l’a transformée. Cependant, la situation évolue soudainement lorsque le garagiste auquel l’ex-Madame Horn avait confié sa voiture demande à son mécanicien Mesmer (Thomas Braut) de raccompagner le suspect à son domicile. Lena qui l’aperçoit à nouveau depuis sa fenêtre en est effrayée. Derrick qui continuait de surveiller Horn fait à cette occasion la connaissance de l’ouvrier et se montre troublé. De retour à son bureau, il ressort le portrait-robot et commence à être gagné par l’idée que l’homme pourrait bien correspondre au suspect esquissé par Lena. Se rendant au garage, il obtient l’adresse de Mesmer et l’arrête. Acculé, celui-ci finit par reconnaître que lorsqu’il s’était rendu au domicile de l’ancienne épouse, il avait trouvé la porte ouverte et s’était laissé à fouiller le salon dans l’espoir de découvrir de l’argent « que les riches laissent traîner sans réaliser qu’il représente une provocation pour les pauvres », lorsqu’il fut surpris par la propriétaire outragée et qu’il ne trouva pas d’autre moyen pour qu’elle n’alerte pas les voisins par ses cris que de l’étrangler.

Le vrai coupable au commissariat, Mesmer, enfin identifié, interprété par Thomas Braut –qui incarnera un policier dans une sixième et dernière participation dans la série, Le congrès de Berlin (Ein Kongress in Berlin), l'acteur étant décédé en décembre 1979 à l'âge de 49 ans, bien qu'il soit apparu de manière posthume dans quelques productions télévisuelles diffusées en 1980.

L’inspecteur Derrick est ainsi implicitement amené à convenir qu’il s'est enferré dans son erreur en accusant obstinément Horn et en écartant d’emblée toute autre possibilité d’élucidation du crime, indéfectiblement convaincu par ce qui paraissait être une évidence inébranlable jusqu’à la révélation finale, l’identification du véritable coupable. Il n’en persiste pas moins à attribuer à Horn une motivation intéressée, celui-ci n’accordant selon lui de l’attention à sa belle-sœur que pour la protection qu’elle lui fournissait – on voyait il est vrai tantôt celui-ci lui intimant de ne surtout pas revenir sur son témoignage en sa faveur – jusqu’à ce que dans l'épilogue il manifeste en la retrouvant une complicité apparente. Le scénariste démontre ici à nouveau à quel point l'aspect psychologique est pour lui prédominant, renonçant délibérément à jouer sur le ressort du mystère policier puisque nous permettant d'assister en même temps que Lena à l'arrivée de l'inconnu dans la propriété dès la mise en place de l'intrigue, de sorte nous savons dès lors à la différence des policiers que son témoignage est fiable. Cet épisode est néanmoins rendu captivant par la justesse des interprétations, notamment celle d'Ursula Lingen dont la figure domine toute l’histoire qui démontre comment des circonstances particulières sont susceptibles d’amener deux personnes qui ne s’appréciaient pas à trouver un terrain d’entente et à établir des rapports apaisés et bienveillants entre eux, dénotant avec le ton ordinairement plutôt sombre de la série, comme dans un épisode précédent, L'embuscade, qui voyait à l'issue d'échanges très acides entre une doctoresse victime d'une tentative d'assassinat et son neveu qui se méprisaient advenir une véritable réconciliation.


Une réconciliation appelée à se prolonger.

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