Le début de l’épisode Longue journée (An einem Montagmorgen) que tout téléspectateur pourvu d’un minimum d’honnêteté devrait considérer comme palpitant est fort inhabituel : l’inspecteur Derrick introduit l’intrigue en voix off en indiquant qu’il a vécu une journée particulière et il nous présente deux personnages qu’on suit dans leur vie ordinaire. Le premier présente l’allure d’un retraité irascible, interprété par Herbert Tiede, qui roule des yeux terribles devant sa domestique en prétendant que sa paire de chaussures qu’elle vient de cirer ne brille pas assez, puis fait pratiquement un scandale chez le pharmacien en déplorant bruyamment l’effet de l’inflation sur son médicament. Ce Monsieur Bergmann va bientôt payer chèrement son caractère ombrageux. On suit ensuite brièvement une veuve, Madame Heilmann (Christine Ostermayer), qui fait les courses pour sa demeure.
Le narrateur s’interrompt (dans la version d'origine, on voit ensuite brièvement Derrick organiser laconiquement une confrontation entre un témoin et des suspects alignés derrière une vitre) et on découvre deux hommes attablés à l’extérieur d’un café, bientôt rejoints par un troisième, lequel leur intime aussitôt de cesser de boire de l’alcool, et interdit également qu'on fume dans la voiture. Ceux-là se résignent à vider les verres en déversant leur contenu sur le sol, nous permettant de saisir que les deux acolytes sont sous la domination impérieuse de leur chef. Les trois individus prennent place rapidement dans leur voiture et entreprennent de braquer une banque. Tandis que ses complices exigent qu’on leur remette les fonds de la caisse, le meneur, Koller, joué par Wilfried Baasner, prend en otage un client. Celui-ci qui se trouve être le râleur du prologue, Monsieur Bergmann, proteste véhémentement et, parvenant à se dégager partiellement de l’étreinte, arrache la cagoule qui masque les traits de son agresseur. Celui-ci à présent à visage découvert se montre furieux et punit aussitôt l’otage qui a osé le défier en lui tirant avec une expression éloquente de fureur une balle vengeresse. L’épisode montre ainsi une scène violente assez inhabituellement explicite pour la série, avec la caméra nous faisant voir le vieil homme abattu d’une balle en plein front. Nous sommes dorénavant convaincus que le chef des malfrats est sans scrupules et même ses comparses commencent à le craindre. Le meurtrier est conscient qu’il peut à présent être identifié et il détruit la caméra de surveillance qui lui fait face, mais celle-là a naturellement eu le temps d’enregistrer son image et Derrick reconnaît à la lecture de la bande le dangereux individu qu’il avait arrêté des années auparavant.
Le chef des bandits, Koller (Wilfried Baasner), prépare un mauvais coup.
Les trois brigands s'apprêtent à passer à l'action.
En dévoilant le visage de Koller, le client de la banque cause son courroux et le paie aussitôt de sa vie.
Le cadavre du client de la banque tient encore la cagoule qu'il a enlevée à son preneur d'otage dans une impulsion de témérité fatale.
L'Inspecteur Derrick reconnait immédiatement en l'homme démasqué devant la caméra de surveillance de la banque un de ses anciens "clients".
L’épisode Longue journée est particulièrement intense, car une course de vitesse s’amorce entre le gang et un client de la banque qui les a pris en chasse, puis une fois leur véhicule accidenté, les criminels poursuivent leur fuite à pied et pénètrent dans une demeure. Ils prennent une famille en otage, leur chef se sentant de plus en plus acculé est prêt à user de tous les moyens pour parvenir à s’échapper tandis que les enquêteurs ayant coupé les axes de circulation s’efforcent de les localiser.
Koller laisse finalement sous la menace constante de son arme Mme Heilmann aller ranger ses commissions pour ne pas que sa voiture stationnée devant la maison attitre l'attention du voisinage.
Revenue du lycée, la jeune Biggy Heilmann n'est pas longue à réaliser à quel genre d'individu elle a affaire avec le terrifiant Koller.
À un moment, le comparse Weber (Wolf Goldan) décide d’abuser sexuellement la jeune fille revenue du lycée, Biggy (Rosvitha Schreiner), mais il se fait violemment rabrouer par Koller. Il ne faudrait cependant pas se méprendre quant à cette réaction. Ce dernier a en effet déjà menacé de se conduire de la même manière avec elle pour forcer l’obéissance de sa mère et, vers la fin, alors qu’il suspecte son frère Manuel (Jochen Horst) d’avoir parlé à la police – ce qui est bien le cas, et Derrick fait d’ailleurs courir des risques à la famille en le retenant trop longtemps – et qu’il envisage de tenter une sortie en urgence, il affirme rageusement qu’il va incessamment abattre la mère et emmener sa fille dans sa fuite pour la violer. Il faut par ailleurs noter que dans la version diffusée en France, une ellipse rend ce passage assez incompréhensible, puisque la scène dans laquelle Manuel rentre au domicile, où l’on voit Koller convenir de le laisser repartir au travail alors que son collègue l’attend devant l’entrée afin de ne pas éveiller les soupçons, en lui faisant naturellement promettre de ne rien dire aux autorités sous peine qu’il tue sa mère et sa sœur, a été coupée pour raccourcir l’épisode. En dépit de son exaspération manifeste, on ne peut exclure que le criminel mette réellement en application ce projet de porter atteinte à la vertu de la jeune fille et si Koller empêche Weber de lui faire subir le même sort, ce n’est visiblement pas au nom d’une éthique minimale, mais très probablement pour réaffirmer son autorité inébranlable – d’autant qu’il conserve une vive rancune à l’encontre de Weber pour avoir fait verser leur véhicule dans le bas-côté lors de leur tentative de semer le témoin qui les poursuivait depuis leur hold-up. Il est certain que si Koller éprouvait l’envie de s’en prendre à la jeune fille, rien ne pourrait l’en dissuader, ni les suppliques de la victime ni le désaccord de ses complices, ni bien sûr des principes moraux. Koller est ontologiquement une incarnation du « surhomme nietzschéen » qui ne reconnaît que sa propre volonté, sans restriction d’aucune sorte, et si la jeune fille est promise à être violée, ce ne peut être en premier que par le chef qui réaffirme ainsi sa prééminence incontestée sur les membres de son groupe.







L'innocence de la jeune fille de la famille paraît bien menacée par Koller, mais peut-être que celui-là ne cherche en lui enserrant l'entrejambe qu'à démontrer son emprise sur elle.
Dans la version allemande, le chef des criminels accepte que le fils Manuel (Jochen Horst) aille à son travail pour ne pas alerter son collègue qui l'attend devant la porte sur sa mobylette, tout en le menaçant avec son arme, provoquant l'effroi de sa petite sœur.
La tension au sein du trio, dépassé par la situation tandis que la prise d’otage donne l’impression d’être presque vécue en temps réel, n’est pas sans analogies avec le téléfilm Bulletin Spécial – cité dans l’article sur l’épisode Un homme en trop – qui joue avec les apparences du direct, à ceci près que c’est cette fois la police et non la presse qu’on nous montre en parallèle en train de suivre le cours des évènements. Malgré les précautions prises par les truands pour dissimuler leur présence, l’Inspecteur Derrick finit par identifier la demeure où ils se sont cachés. La police localise en effet les fugitifs en repérant la vitre cassée d’une cave, une piste confirmée après avoir demandé aux voisins d’appeler la famille qui se trouve à son domicile et qui ne répond pas au téléphone, étant maintenue sous la coupe des criminels, paralysée par la peur.

Derrick demande aux voisins Herbach d'appeler les voisins, leur absence de réponse lui apportant confirmation que la demeure des Heilmann est sous la coupe des fugitifs.
Koller veut obliger Madame Heilmann à joindre son fils au travail, se demandant pourquoi il n'est pas rentré et soupçonnant qu'il ait trahi son engagement de ne pas entrer en contact avec la police comme montré dans la version allemande originelle.
L’inspecteur Derrick se
heurte frontalement au chef de la police locale (Nicolas Lansky) qui
veut intervenir directement. Le détective lui explique qu’il cerne
bien la psychologie de Koller, qui serait prêt « à tuer les
otages juste pour montrer qui il est » et le supérieur auquel
il a fait appel (incarné par Alf Marholm) et qui s’est rendu sur
place se range de son côté, son plaidoyer pour une approche moins
frontale l’ayant convaincu de « ne pas prendre de risques ».
L’inspecteur principal applique ainsi son propre plan avec l’aval
de sa hiérarchie, faisant diffuser à la radio de fausses
informations selon lesquelles la police a déplacé ses barrages,
laissant croire qu’elle pense les criminels déjà enfuis en
direction de la région frontalière de l’Autriche, de manière à
obtenir leur sortie et pouvoir ainsi les arrêter une fois que les
otages ne seront plus en danger.



Le supérieur approuve la méthode douce de l'inspecteur, à la grande irritation du chef de la police désireux de régler de manière frontale la prise d'otage.
Lorsque Manuel reparaît enfin, il est accueilli très violemment par le chef des brigands, brutalité engendrant le malaise palpable de son complice Hassel, à l'arrière-plan.
D’abord méfiants, les
trois fugitifs décident ainsi finalement de tenter une sortie, sans
s’encombrer des captifs. Lorsqu’ils sont finalement coursés par
les autorités, ils font demi-tour et tentent de manière assez
inattendue de revenir dans la demeure des Heilmann, Koller tapant
vigoureusement sur la porte pour qu’on les fasse entrer, dans une
tentative désespérée de revenir à la situation précédente, mais
c’est l’inspecteur principal qui lui ouvre, semblant ainsi
confirmer qu’il connaît effectivement bien la psychologie du chef
des criminels. Koller doit reconnaître son échec, déclarant d’un
rire amer « Derrick ! » (« Vous ! »
dans la version allemande). L’inspecteur lui répond simplement
« oui ! », assurant implicitement qu’il ne cessera
jamais de se dresser contre le crime pour mettre hors d’état de
nuire de si malfaisants individus.





Les criminels se réjouissent de pouvoir s'échapper mais ignorent qu'ils sont juste tombés dans le piège tendu par l'Inspecteur Derrick.
Tout au long de cette
prise d'otage, Wilfried Baasner est stupéfiant, il ne joue pas
simplement un malfaiteur capable de tout au point de choquer ses deux
complices, notamment Hassel (Robert Meyer) qui tente brièvement et
vainement de le modérer, ou auparavant lorsqu’il veut lui imposer
d’abattre leur poursuivant, le subordonné semblant éviter de
viser délibérément la tête en dépit de l’ordre ferme de
l’abattre que vocifère Koller – il a malgré tout un peu plus de
succès quand il parvient à le dissuader de tuer le frère de Biggy.
Il faut aussi saluer cette interprétation de Robert Meyer, l’air
toujours pleutre, le front moite, qui réalise un vrai rôle de
composition, car notamment dans l’épisode Le meilleur de la
classe, il jouait sur un tout autre registre en interprétant de
manière glaciale le trafiquant de drogue Wohlers qui conseille
froidement au pharmacien victime de chantage d’éliminer ses
propres complices afin que la police ne puisse boucler son enquête
en faisant avouer deux toxicomanes quant aux circonstances d’un
accident mortel. L’opposition entre Hassel et Koller se devine
aussi lorsqu’à l’insu de ce dernier, le complice témoigne d’un
geste d’humanité à l’encontre de la mère de famille terrorisée
en lui proposant un peu d’alcool d’un ton attentionné – dont
il avale lui-même une importante rasade, unissant un bref instant la
victime et son ravisseur dans une angoisse commune, avant d’élever
de nouveau la voix pour donner l’impression de complaire aux ordres
de la malmener de son chef qui maintient tout le monde sous sa férule
depuis la pièce voisine. Wilfried Baasner incarne littéralement
cette brute malfaisante, dont la violence est encore accrue dans la
version originelle complète puisque pour tout remerciement d’avoir
permis aux malfaiteurs de disposer d’une radio diffusant les
émissions qui font le point sur les investigations policières,
Koller projette très sauvagement contre les murs le jeune Manuel au
risque de le blesser. L’acteur confère une telle puissance et un
tel réalisme à son détestable personnage qu'on oublierait presque
que l'on visionne une fiction. Une nouvelle fois, le scénariste
s’est attaché tel un chroniqueur à dresser une représentation du
Mal tel qu’il se manifeste au sein de l’Humanité.


Koller fait régner une atmosphère étouffante dans la maison des Heilmann.
Hassel (Robert Meyer) n'est pas à son aise au fur et à mesure que les évènements prennent une tournure immaîtrisable.
Si Koller ne cesse de terroriser la mère et sa jeune fille, c'est le fils Manuel qui subit frontalement la brutalité du chef de gang.
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Superbe épisode et très bonne analyse détaillée !!!
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