On dit souvent que la réalité rattrape la fiction, c’est malheureusement ce qu’il s’est produit en France le 14 mai 2024, au péage d’Incarville dans le département de l’Eure, lorsque deux véhicules de l’administration pénitentiaire ont fait l’objet d’une attaque impitoyable par des hommes masqués et lourdement armés surgissant de deux véhicules ayant pris le convoi en tenaille. Deux agents ont été abattus et d’autres ont été blessés très gravement, nécessitant notamment une amputation. Le but de cette opération criminelle était d’extraire un détenu convoqué à une audition, un individu surnommé "La Mouche "à l’instar du personnage tout aussi terrifiant d’un film éponyme de David Cronenberg, et sur lequel planent de terribles accusations d’enlèvements, de tortures et de meurtres.
Ce tragique évènement qui a défrayé la chronique et vient conforter le constat d’une montée de l’intensité des attaques à l’encontre de l’autorité de l’État en France donne une triste occasion de se replonger dans cet épisode, Pricker, dont le début fait basculer une mission ordinaire dans l’horreur. Mais comme souvent dans la série, l’ingénieux scénariste Herbert Reinecker fait prendre à l’intrigue un détour inattendu au lieu de la simple traque des tueurs, et l’on se propose donc de détailler cet épisode.
Peu de temps avant le transport à Munich de deux prisonniers pour des comparutions, l’une des deux audiences est ajournée et l’intéressé, Hamann (Dirk Galuba), est reconduit dans sa cellule, ce qui l’irrite fort. Durant le déplacement, le convoi est mitraillé, et les hommes de main d’Hamann qui ont commis un véritable massacre des agents pénitentiaires découvrent à l’intérieur du fourgon que celui qu’ils devaient libérer ne s’y trouve pas, la cellule ne renfermant qu’un petit homme faisant piètre figure, Alfred Pricker (Klaus Schwarzkopf). Ils s’apprêtent à repartir, assez désappointés, lorsque leur meneur réalise qu’il est risqué pour eux de laisser en vie le détenu qui les a vus à visage découvert. Le temps de se raviser, celui-ci, méfiant, a eu le temps de s’enfuir et s’est caché dans la forêt. Les criminels repartent alors avant de risquer d’être arrêtés.
Se renseignant sur l’identité du fugitif, l’Inspecteur Derrick ne tarde pas à déduire que le prisonnier de petite envergure est sûrement étranger à cette terrible action et lorsqu’il apprend des responsables du centre pénitentiaire qu’un second détenu devait être acheminé vers le palais de justice, il se persuade aussitôt que celui-ci est l’instigateur de l’entreprise qui visait à permettre son évasion, la colère exprimée lors de son retour en cellule signifiant indubitablement son amère surprise devant l’échec de ce plan.
Tout en lançant des recherches pour retrouver Pricker qui, apeuré, continue de se cacher, Derrick concentre son enquête sur Hamann qui comprend vite les soupçons qui pèsent sur lui, et il fait surveiller son épouse Josefine (Gaby Herbst), mannequin de mode, qui se rend dans un bar appartenant à un nommé Jablonski, suspecté de diriger des affaires criminelles, mais qui n’a jamais pu être inculpé. Harry Klein assène à l’épouse qu’il ne peut comprendre qu’elle ne veuille pas divorcer, lui disant sans élégance qu’elle ne sera « plus fraîche lorsqu’il sortira de prison dans huit ans », à moins qu’elle n’ait escompté son évasion. Derrick rend une nouvelle visite à celle-là en lui disant qu’il est convaincu que l’argent que son mari a réussi à dissimuler devait servir à rémunérer Jablonski pour monter l’opération.

Pendant ce temps, Pricker, bien mal en point, est recueilli par une veuve à forte personnalité, Franziska Sailer (Ruth Drexel) et sa fille Hanni (Ute Willing – qui a d’ailleurs exercé dans la réalité le métier de mannequin prêté à la femme d’Hamann), lesquelles, apitoyées par ce petit homme terrorisé qui se dit résigné à ce qu’on appelle la police, l’accueillent afin de lui assurer les soins de première nécessité. La jeune fille qui travaille à mi-temps manque même sa matinée d’école pour pouvoir prendre le petit déjeuner avec lui. La mère doit aussi le protéger de sa voisine trop curieuse, Madame Zander (Maria Singer), prête à s’inviter sans prévenir au domicile et à espionner au travers du trou de serrure, en présentant son invité comme le frère de son époux, ce qui n’endort pas la méfiance de cette commère inopportune et même plutôt malveillante même si elle concède une certaine vraisemblance à cette supposée ressemblance.
Madame Sailer se rend finalement chez le frère d’Alfred, Robert Pricker (Werner Schnitzer), qui possède une petite entreprise de menuiserie afin de s’enquérir de l’aide qu’il pourrait lui apporter, mais celui-ci lui répond, comme précédemment à l’inspecteur, qu’il n’a plus de contact avec ce frère indésirable qui a déshonoré sa famille par son comportement – le fugitif avoue finalement qu’il a été principalement incarcéré pour avoir triché au jeu, Franciska s’étonnant alors « qu’on aille en prison pour si peu ». Lorsque la police recontacte Robert Pricker, celui-ci s’en montre surpris en affirmant avoir déjà indiqué à ses services l’adresse que lui a donnée la femme qui l’héberge et Derrick, réalisant aussitôt qu’il s’agit des criminels qui ont abusé de sa crédulité, se précipite avec plusieurs voitures au lieu dit et les forces de l’ordre parviennent à neutraliser les trois tueurs qui n’ont eu le temps que de blesser superficiellement leur cible.
Pricker est un épisode assez touchant. Un concours de circonstances change un évadé inoffensif en gibier apeuré et terrorisé, pour reprendre les termes de son hôtesse, initialement si insignifiant mais sur lequel plane une mise à mort imminente pour s’être simplement trouvé au mauvais endroit et au mauvais moment. Parallèlement à cette menace se met en place un noyau familial qui se reconstitue, alors que le fuyard finit par être totalement intégré dans sa nouvelle résidence au point d’aller se baigner en compagnie de la jeune fille lors d’une excursion pendant que la mère surveille les bicyclettes. En endossant les vêtements de l’époux décédé, il reprend également la place laissée vacante par celui-ci auprès des deux femmes. Mieux, alors qu’il existait des tensions palpables entre la mère et la fille, la présence d’Alfred Pricker exerce un effet apaisant, comme si la cellule familiale était régénérée et dorénavant rééquilibrée.
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On peut créditer Klaus Schwarzkopf d’avoir si bien su conférer à son personnage une incarnation d’homme perdu et attendrissant, et l’épilogue débouche sur une réaffirmation de l’harmonie recréée lorsque, touché par une balle, il demeure sur le sol en attente des secours, tendant la main pour que Madame Sailer la prenne dans la sienne dans un geste de concorde bienveillante venant clore ces épreuves. La partition de Frank Duval apporte une touche supplémentaire d’émotion, qu’il s’agisse de souligner le réconfort que les trois personnages amenés à se rapprocher reconnaissent éprouver en assemblant les morceaux de leur existence bousculée, de faire ressentir au frère du fugitif son indifférence face à la solitude de celui-ci, ou sur un mode plus grave d’accompagner la tentative de Derrick de faire avouer sa responsabilité à Madame Hamann qu’on devine quelque peu éprouvée lorsqu’il la confronte à la mort des deux policiers pères de famille abattus par ses complices alors que le second vient de succomber à ses blessures. A la différence de nombre d'épisodes sombres, Pricker comme Lena évoqué précédemment débouche sur une belle aventure humaine, lorsque des circonstances tragiques amènent des êtres humains à se reconnaître comme des semblables et à se retrouver dans une forme d'harmonie. Aussi parfaitement réussie que soit la série américaine analogue Columbo, un épisode d’Inspecteur Derrick comme Pricker démontre bien à quel point celle conçue par le scénariste Herbert Reinecker met bien davantage l’accent sur la nature humaine, ne nous laissant pas indifférents, qu’il s’agisse de nous ébranler en nous confrontant à la noirceur humaine la plus absolue ou de susciter l’émotion devant la fragilité des existences, et la compassion que celle-là peut parfois susciter.
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