mardi 20 février 2024

VACANCES A MADERE : UN PARADIS DONT ON NE REVIENT PAS

 

Moment de séduction au parc avec une ultime conquête à une terrasse devant la Tour chinoise de l'Englischer Garten (le jardin anglais) de Munich.

        Comme le premier épisode d'Inspecteur Derrick qui fut diffuséLe chemin à travers bois - également le premier à avoir été l'objet d'une évocation détaillée en ces pages, Vacances à Madère (Madeira) présente un personnage qui, sous des dehors sympathiques, s'avère être lui aussi le terrifiant auteur d'une série d'assassinats. Le spectateur est ainsi convié à assister aux agissements d’un homme qui abuse de la crédulité des femmes avant de les faire disparaître pour s’accaparer leurs économies. L’acteur Curd Jürgens est d’atour impérial pour son unique apparition dans la série. Il promène sa longue silhouette élégante dans l’entourage de veuves fortunées, ne tardant pas à faire naître en elles l’illusion d’une dernière romance qu’il propose de concrétiser par des vacances à Madère, un lieu paradisiaque qu’il leur fait découvrir au travers de brochures touristiques sur papier glacé, mais qu’elles ne verront jamais. En effet, tel un Landru majestueux, ce célèbre assassin guillotiné du début du XXème siècle, accusé de se servir de petites annonces matrimoniales pour appâter des femmes fortunées jusqu’à sa maison à la campagne et dont il a semble-t-il brûlé les corps, l’escroc Paul Bubach les amène à sa résidence secondaire où il leur sert une boisson empoisonnée avant de les délester tranquillement de leurs économies.


La maison d'Henri Désiré Landru, en apparence un petit pavillon tranquille.

Bien que Landru ait refusé jusqu'au bout d'avouer, la justice française l'a condamné à l'échafaud pour l'assassinat de femmes esseulées naïves qui, loin de la promesse du mariage, ont été empoisonnées puis incinérées dans la cheminée dont les funestes fumées finiront par trahir ses sombres méfaits.

Dans la même logique, la résidence secondaire des bases besognes, cette fois dans la fiction, celle de Paul Bubach.



Paul Bubach va chercher sa nouvelle conquête, Agnes Domberg (Elfriede Kuzmany), et se débarrasse de son chien en prétendant le confier momentanément à un chenil.



Avant le départ promis pour Madère, le séducteur propose une prétendue halte dans sa maison de campagne et offre à Agnes Domberg un verre d'une boisson qui cause bientôt une faiblesse suivi du trépas de l'invitée trop confiante.


Le prédateur qui vient en repérage de ses futures victimes dans un café ne s'attendait pas à susciter l'intérêt de l' inspecteur de police inquisiteur.

        L’Inspecteur Derrick commence à resserrer son enquête sur le coupable qui a côtoyé les disparues, aidé notamment par le chien de l’une d’elle qui semble reconnaître l’homme et son domicile, et identifie des affaires ayant appartenu à sa maîtresse, tandis que sa propre nièce Claire (Kläre Henkel dans la version originale), à laquelle Susan Uhlen prête toute sa candeur, commence à entrevoir l’effroyable vérité et confie ses doutes aux policiers. 



Visite par la police du domicile de Bubach en compagnie de sa nièce et du chien de Madame Domberg qui semble reconnaître les lieux (en bas, photo de tournage pour un plan large absent du montage final ; dans la scène diffusée, les personnages se trouvent déjà près de la barrière du jardin et c'est à cet endroit que Claire désigne du doigt l'adresse proche où elle réside).

        En dépit des assauts de gentillesse de son oncle qui finance ses études, la jeune Claire ne peut plus lui cacher les forts soupçons qui pèsent sur lui et dont il lui est dorénavant impossible de faire abstraction, d'autant qu'elle a rencontré chez lui, ce qui a visiblement ennuyé le maître des lieux, la dernière disparue et qu'elle a vu qu'il avait en sa possession de la documentation relative à la destination où étaient censées se rendre les victimes. Elle se résout donc à lui parler sans faux-semblant de la terrible ombre de culpabilité qui le cerne toujours davantage. L'intéressé, en dépit de son embarras qui imprime sur son visage une expression soucieuse, ne se départit pas d'une certaine contenance et en vient même à prendre de manière légère ses accusations en expliquant qu'il va lui montrer son jardin secret pour dissiper sa suspicion.



L'oncle se montre contrarié lorsqu'il perçoit que sa nièce adorée est tenaillée par des questionnements faisant écho aux investigations lancées à son encontre par la police de Munich.

Monsieur Bubach aurait nettement préféré que sa nièce ne soit pas à la maison lorsque Linda Peters (Inga Birkmann) avec laquelle il avait pris un verre dans le jardin anglais de Munich vient le visiter, désireuse de savoir quand ils pourront se rendre dans l'Île de Madère conformément à la promesse qu'il lui a fait miroiter. 




Après la disparition de Madame Peters, Claire est décidée à obtenir la vérité de la bouche de son oncle.

Le parent de Claire se montre soudain chaleureux et propose sous la raison de lui révéler ses petits secrets de l'emmener dans sa résidence secondaire, où ses victimes ont vécu leurs derniers instants.

        L’oncle décide ainsi de montrer sa demeure campagnarde à sa nièce et nous pressentons le pire à l’occasion d’une scène étouffante durant laquelle ils s’apprêtent à se confronter, alors que le parent d’allure bienveillante qui finance ses études s’efforce dans un premier temps d’éluder le fort soupçon qu’elle nourrit désormais à son encontre, le spectateur envisageant irrépressiblement la forte possibilité que le criminel sans états d’âme et n’ignorant pas qu’elle le soupçonne décide de faire disparaître à son tour la jeune fille innocente. 


Comme le Professeur du Chemin à travers bois, l'hôte d'allure cordiale ferme la porte de sa demeure et affiche soudain une mine sévère alors qu'il s'approche de son invitée.


Le visage toujours fermé, Paul Bubach amène deux coupes de champagne devant participer d'un moment de convivialité. L'image du bas est une photo de tournage, ce plan général qui embrasse les deux protagonistes ne figurant pas dans le montage final et l'éclairage étant moins lumineux dans la séquence qui est plus sombre, à la manière de la demeure en bois dans laquelle se situe le terrifiant dénouement du film de science-fiction psychologique de David Cronenberg Chromosome 3 (The Brood).


Le chalet en bois de Chromosome 3 (The Brood) réalisé en 1979 par David Cronenberg abrite une effrayante progéniture issue des expériences "psychoplasmiques" du Dr Raglan (Oliver Reed, au milieu, assailli par des enfants monstrueux, sur la photo du bas), démontrant l'année de la sortie d'Alien de Ridley Scott que la terreur pouvait surgir aussi bien des sombres profondeurs du psychisme que des ténèbres de l'espace intersidéral.




La jeune fille se montre réticente à porter à ses lèvres la coupe qui lui est destinée, ce qui semble fortement irriter son oncle. 

        Finalement, c’est Paul Bubach lui-même qui, se sentant acculé, décide de boire volontairement le contenu empoisonné d’un verre et il s’écroule juste avant que la police intervienne. Il perd la vie sur fond de la chanson « La mer » de Charles Trenet, la douceur de la musique et des paroles produisant un saisissant contraste avec le caractère particulièrement scabreux de la situation.

        Au vu de la mine déconfite du criminel à l'arrivée de la police, interruption qui permet à la jeune fille de quitter précipitamment la demeure, on pourrait effectivement continuer à se demander si Bubach n'avait pas décidé d'éliminer sa nièce et qu'il a changé son projet, se sentant perdu. Néanmoins, la disparition de l'étudiante n'aurait pas mis fin à l'enquête de la police et aurait même ajouté un fait supplémentaire pour étayer l'accusation à son encontre. Par ailleurs, seul l'assassin avait commencé à boire sa coupe de champagne, or pour autant qu'on puisse le déceler dans l'image sur laquelle se clôt l'épisode, le second verre paraît plein presque jusqu'à ras bord, celui qui était selon toute vraisemblance destiné à Claire ; ainsi, on peut assez manifestement en déduire que le verre dont le contenu était empoisonné était celui que Paul Bubach s'était réservé, dans lequel il avait commencé à boire et que la précipitation des évènements l'a conduit à vider rapidement pour ne pas à avoir à affronter la justice.

        Si l'on se penche sur la séquence des derniers évènements, on peut se montrer assez surpris que le malfaiteur ait décidé de tuer sa dernière victime trop confiante alors que sa nièce l’avait peu auparavant surprise en sa compagnie quand il lui montrait à son domicile sa documentation sur Madère, ces brochures étant associées aux affaires précédentes, sa disparition subséquente ne pouvant ainsi inévitablement que conforter sa quasi-certitude que son parent bienveillant n’était autre que l’odieux criminel, présentant la face double d’un Dr Jekyll et de Mister Hyde. Celui-là ne semblant pas dépourvu d’intelligence, il est permis de s’interroger en se demandant pour quelle raison il a poursuivi son programme criminel, sachant qu’il se condamnait de la sorte.    




A l'approche de la police, Claire laisse son oncle criminel seul face à sa responsabilité, et les deux inspecteurs ne peuvent que découvrir depuis la fenêtre l'assassin qui s'est ôté la vie.

        L’interprétation immédiate pourrait en être que son avidité était si irrépressible qu’il n’a pu se réfréner après le patient travail d'approche qu'il avait conduit avec sa dernière proie ; la retenue dont il semble coutumier ainsi que sa froideur calculatrice font douter de ce motif. Une vision plus moralisatrice pourrait être que la conscience de l’horreur de ses agissements l’aurait amené à chercher à y mettre un terme au travers d’un dernier crime l’accusant sans ambiguïté, avant finalement de décider de se supprimer. Il est aussi fort possible, ce qui peut renforcer cette hypothèse, que la perspective prochaine d’être démasqué et la honte que soit ainsi révélé à sa nièce si innocente et pure l’épouvantable personnage qu’il était en réalité, l’ait au moins inconsciemment poussé à se perdre, en allant d’abord jusqu’au bout de sa logique machiavélique avant de mettre fin à ses jours pour ne pas avoir à supporter son regard une fois la vérité établie de manière incontestable - à moins bien sûr qu'il ait ajouté la substance toxique dans les deux verres pour faire disparaître en même temps que lui sa parente dont il aurait pu préférer qu'elle périsse plutôt qu'elle apprenne la vérité, à l'instar d'escrocs célèbres assassins de leur famille comme les sinistres Dupont de Ligonnès et Jean-Claude Romand, affaires ayant été portées à l'écran. Il peut parfois subsister une part d’inconnu quant à la psychologie des grands criminels, et il arrive effectivement que certains, comme le gendarme psychopathe Lamarre dont l’affaire a été transcrite au cinéma sous le titre La prochaine fois je viserai le cœur, peut-être lassés de leurs propres atrocités ou ne voyant plus d’issue à leur fuite en avant dans le crime, finissent, au lieu de simplement se supprimer, par mettre la police sur leurs traces et à se résoudre à croupir en prison, ou pour le cas évoqué en hôpital psychiatrique – même si pour ce qui concerne le célèbre Jack L’éventreur qui livrait semble-t-il lui aussi à la police quelques indices au travers des lettres qu’il lui aurait adressées, celui-ci n’a jamais été arrêté. L’épisode peut de la sorte laisser subsister quelque mystère sur les ressorts du Mal auquel s’adonnent les criminels les plus froids.

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