mardi 1 octobre 2024

DISCUSSION AVEC LE FAN FRANCAIS NUMERO 1 - Première partie

 

Fabrice devant la page du site "The Avengers" renvoyant vers les liens des différentes saisons d'Inspecteur Derrick dont il a détaillé les épisodes.

        Fabrice Joël Françoise a chroniqué en 2019 sur le site « Le monde des Avengers » la totalité des épisodes de la série Inspecteur Derrick (l’adresse est indiquée parmi les liens listés à droite), un travail posté peu avant la création du présent blog comme évoqué dans l’introduction de ce dernier, ce qui fait en quelque sorte chronologiquement de lui le "fan français numéro 1" de la série allemande. Un entretien avec ce grand amateur non seulement d’Inspecteur Derrick mais plus généralement des séries, est proposé ici aux lecteurs afin de croiser nos visions de ce programme singulier et pourtant souvent dénigré.

        Dans le début de cet entretien sont évoquées la passion de l’auteur pour la série allemande et ses interprètes, ainsi que la manière générale par laquelle la série a été reçue.


La découverte de la série

Bonjour Fabrice, peux-tu pour débuter cet entretien nous indiquer comment tu as été amené à visionner Inspecteur Derrick pour la première fois ?

- En fait, je connais cette série depuis mon enfance. Lorsque je n’allais pas à l’école, c’est-à-dire assez souvent en raison de problèmes de santé, je regardais les séries allemandes qui passaient sur la chaîne de télévision publique France 2 au début des années 1990, Derrick, donc, mais aussi Un cas pour deux, Le renard et d’autres encore, que j’aimais beaucoup, même si évidemment je ne comprenais pas tout à mon jeune âge. Elles me servaient en quelque sorte de baby-sitter (sourire).

- Qu’est ce qui t’a amené à chroniquer les épisodes sur le site «Le monde des Avengers » ?

- C’était en 2019, j’avais 28 ans. Je revoyais des épisodes d’Un cas pour deux sur You Tube, que j’aimais toujours et je me suis demandé si j’apprécierais à nouveau Derrick, donc je me suis mis à en revoir certains épisodes, toujours sur You Tube. Et cela m’a tant plu que ça m’a décidé à visionner toute la série dans l’ordre chronologique, même s’il n’y a pas d’inconvénient à regarder les épisodes dans le désordre, d’ailleurs une bonne partie a été diffusée dans un ordre différent de celui du tournage.

Le site du "monde des Avengers" sur lequel Fabrice a rendu compte de toutes les saisons de la série Inspecteur Derrick

- À propos, sais-tu s’il existe une raison pour laquelle en Allemagne même, les épisodes n’ont pas toujours été diffusés dans l’ordre de tournage, la série débutant par Le chemin à travers bois alors que Le bus de minuit avait été le premier terminé ? Était-ce pour des raisons dues aux aléas du montage pour ce qui concerne les premiers épisodes tournés, ceux-là ayant été jugés d’une durée trop longue par les responsables de la chaîne allemande ZDF qui finançait le programme, postulant qu’ils ne devaient pas dépasser une heure (la télévision française quant à elle les a systématiquement réduits à trois quarts d’heure) ?

- Je n’en sais rien, mais je pense par exemple que Le chemin à travers bois a été diffusé en premier, car il traite d’un tueur en série, ce qui est plus spectaculaire, sensationnel, que l’épisode Le bus de minuit qui ne dépeint qu’un simple meurtre. De plus, la réalisation du Chemin à travers bois et la bande-son (comportant un succès de l’époque) introduisaient d’une façon vraiment plus marquante la série. Parfois, des épisodes étaient diffusés deux ans après leur tournage, mais je pense que c’était toujours dans un souci de faire une forte audience avec des sujets plus porteurs.

Un assassin terrifiant (Wolfgang Kieling) dès le premier épisode, Le Chemin à travers bois, lequel est aussi le premier analysé sur le présent site (voir article de janvier 2023).

- Donc, à la suite de ce regain d’intérêt, tu t’es mis à songer que tu pourrais réaliser un compte-rendu des épisodes plus détaillé que ce qui était disponible sur la page de Wikipedia ?

- Je connaissais le site « Le monde des Avengers », j’appréciais leurs chroniques notamment sur Columbo et ils traitent des séries anciennes, je me suis ainsi dit qu’ils apprécieraient vraisemblablement une section sur Derrick. Le créateur m’a indiqué comment procéder, mais à ce moment-là, j’en étais à cent épisodes…

- Combien de temps cela t’a-t-il demandé pour revoir l’intégralité de la série ?

- Cinq mois. C’était assez épuisant, il fallait rédiger un minimum de quinze lignes, ce qui était parfois compliqué, car certains épisodes, comme dans toute série, sont moins marquants, évocateurs que d’autres. Donc, deux mois plus tard, je revoyais des épisodes afin d’en livrer la chronique la plus précise possible tout en continuant mon visionnage principal fondé sur l’ordre chronologique. Il y avait toujours un décalage.

Un coffret présentant les dix premières saisons de la série Inspecteur Derrick qui totalise 281 épisodes, autant d'histoires dont un certain nombre sont particulièrement mémorables.

- On pourrait être tenté d’ignorer sa réputation, mais Derrick est une série plutôt moquée, en tout cas en France, notamment du fait de son rythme jugé trop lent… Cela ne t’as pas empêché de publier tes chroniques sous ton vrai nom.

- Oui, le créateur du site m’avait proposé d’utiliser un pseudonyme. Mais je n’ai pour ce qui me concerne aucune honte à aimer Derrick. Je me moque de la réputation qui lui est faite, comme du prétendu âge avancé prêté à la plupart des fans. Comme je le dis dans mon texte d’introduction, je n’avais pas trente ans lorsque j’ai redécouvert et aimé la série, et que j’en ai chroniqué les épisodes. Lorsque je diffusais mes chroniques sur Facebook, on se moquait de moi, on m’a même insulté ; au début je répondais aux attaques, puis je les ai ignorées. Les détracteurs ne connaissent pas Derrick, tandis que j’ai revu plusieurs fois la quasi-totalité des épisodes (il n’y en a que deux non traduits que je n’ai pas visionnés) et je sais à quel point c’est une excellente série, d’une richesse psychologique inouïe, la plupart des protagonistes sont des personnes comme vous et moi, qui se trouvent soudain confrontées au crime. On pourrait aussi dire qu’elle agit comme « une madeleine de Proust », ce n’est pas faux. Mais encore dernièrement, j’ai revu certains épisodes et je ne m’en lasserai pas. Je l’aime toujours.

- Moi-même, lorsque j’ai découvert Inspecteur Derrick, j’avais la vingtaine. Je dois avouer que j’ai regardé par hasard un épisode dans un moment d’aboulie alors que je n’avais pas la force de faire grand-chose et, tombant au début de Une longue journée, j’ai tout de suite été pris par cette histoire rythmée et angoissante ainsi que par l’interprétation impressionnante et glaçante de Wilfried Baasner en chef des malfaiteurs. Cela m’a fort à propos changé ponctuellement les idées et donné envie de voir dès le lendemain d’autres épisodes après avoir cherché le nom de la série dans le programme de télévision. Je regardais systématiquement la série durant les vacances et j’ai commencé à mémoriser les noms des interprètes qui apparaissaient dans plusieurs épisodes à l’occasion de leurs différents rôles. Penses-tu, à l’instar de ceux qui clament que la série ne convient qu’aux neurasthéniques, qu’il faut être un peu déprimé ou désabusé pour apprécier pleinement l’intérêt de la série, laquelle porte un éclairage sans concession sur les relations humaines, avec parfois une tonalité qu’on pourrait presque qualifier d’existentialiste ?

- Non pas du tout, et je ne crois pas la série rende davantage dépressif. Tout un chacun peut, au hasard d’un épisode, se laisser emporter par le ton vraiment unique d’Inspecteur Derrick. Il est certain que ceux qui ont été amenés à développer une vision de l’existence qu’on pourrait qualifier de "lucide" peuvent ressentir davantage d’affinités avec les représentations sans concession de la société que met en scène la série conçue par Herbert Reinecker, mais il n’est heureusement pas nécessaire de se sentir déprimé ou désabusé comme tu l’évoques pour la regarder et pleinement l’apprécier. Certaines personnes trouvent même du réconfort à retrouver ce programme, et la série n’est pas toujours aussi sombre que l’image qu’elle traîne.


L’importance des acteurs

- Qu’as-tu plus particulièrement retenu de la série ?

- Je trouve que dès le premier épisode diffusé, Le chemin à travers bois que j’aime beaucoup en raison de son style très documentaire – filmé en caméra à l’épaule, image granuleuse, une approche très moderne pour l’époque (mais ce style sera délaissé pour la suite de la série), celui-là comporte aussi une description très juste, réaliste, du comportement humain. Dans cet épisode, des étudiantes sont violées et tuées, et un des professeurs concède de manière décomplexée son attirance pour ses élèves. Contre toute attente, ce n’est pas lui qui s’avère l’assassin, mais un de ses collègues paraissant au-dessus de tout soupçon. Il faut aussi relever une excellente bande-son.

Le Professeur Manger (Wolfgang Kieling), un personnage respecté au sein du lycée, en compagnie de la directrice et d'une étudiante, qui va s'avérer recéler une face beaucoup plus sombre.

J’ajoute que la série est magnifiquement interprétée : Horst Tappert est bien sur impérial et en complément, des acteurs comme Pierre Franckh, Wolfgang Müller, Ekkerhadt Belle, Ralf Schermuly, Gerd Baltus, Peter Kuiper ainsi que des actrices comme Lisa Kreuzer, Liane Hierschler, Helga Anders, sont complètement investis dans des rôles qui semblent écrits à leur intention.

Wolfgang Müller, Edwin Noel et Ekkerhadt Bell, trois acteurs récurrents et inspirés d'Inspecteur Derrick, même s'ils ont peut-être moins marqué la mémoire du spectateur que d'autres plus charismatiques ou davantage au premier plan d'un épisode, bien que le troisième incarne avec particulièrement de conviction un fils désireux de punir les assassins de son père qui a voulu monnayer à ses propriétaires une valise emplie de drogue dans Le prix de la mort (Ein tödlicher Preis) ou bien cambrioleur désireux d'élucider la mort solitaire d'une résidente d'un appartement dans Les indésirables (Geheimnis in Hochhaus), un épisode qui sera détaillé ultérieurement ici.

- Tu apprécies de revoir régulièrement un certain nombre d’ interprètes, mais n’as-tu jamais trouvé un peu embarrassant de les retrouver dans de nouveaux épisodes, alors qu'ils s'identifiaient à un rôle précédent au point qu'on pouvait croire leur personnage "réel" ? Je songe par exemple à Werner Kreindl qui passe du père absolument décidé à fournir un alibi à son fils meurtrier dans Le bus de minuit à la fonction d’un procureur résolu à faire condamner l’Inspecteur qu’une manigance vise à rendre responsable d’un apparent accident mortel de la route dans Piège pour Derrick ? J’avoue n’avoir pu m’empêcher de faire le rapprochement en dépit de la barbe qu’il arbore dans le second épisode.

- Cela peut être gênant si on regarde les épisodes à la suite, d’ailleurs que ce soit la chaîne ZDF ou même France 2 et France 3 qui diffusaient les épisodes dans le désordre du tournage, on pouvait retrouver un acteur dans un rôle différent dans l'épisode suivant – je pense à Bernd Herzprung qui joue un des amis de la victime dans Mort d’un musicien et puis un simple témoin en ouverture de La peur. Mais cela démontre aussi la polyvalence des acteurs et actrices qui pouvaient tout jouer.


En dépit de sa barbe et de ses lunettes dans un rôle de juge convaincu de la culpabilité de Derrick dont la voiture a mortellement renversé un cycliste dans l'épisode de la neuvième saison Piège pour Derrick (en haut), c'est bien le même acteur, Werner Kreindl, qui avait joué l'aubergiste mentant à la police pour tenter de faire disculper son fils meurtrier dans le second épisode diffusé, Le bus de minuit

- À ce propos, quels personnages de la série imaginés par le scénariste t’ont le plus marqué ?

- Je pense que si des personnages d’un film ou d’une série nous marquent et que l’on se reconnaît en eux, c’est qu’ils parviennent à nous toucher. Il en va ainsi pour ce qui me concerne de la victime de l’épisode Mort d’un fan, au travers de sa description très juste d’une admiratrice inconditionnelle d’une célébrité. Je me suis senti très proche d’elle, car je sais ce que c’est que d’être fan d’un ou d’une artiste même si je n’irais pas jusqu’à me livrer à de telles extrémités, à savoir aller me glisser dans le lit de l’idole. J’aime aussi le personnage incarné par Herbert Fleischmann dans La jeune fille en jean, incarnant un homme vivant une histoire d’amour avec une fille nettement plus jeune que lui : il confère à son personnage une dimension très touchante, dégageant de la sympathie. Je pourrais encore mentionner le personnage de jeune homme absolument désireux de retrouver les meurtriers de sa petite amie dans Enquête parallèle (nota : celui-ci est sauvé in extremis par l’intervention de Derrick alors qu’il s’était introduit dans l’antre des coupables prêts à le faire taire définitivement).


L'autostoppeur Martin Maurus (Thomas Schücke) est si empressé de retrouver les routiers qui ont violé et assassiné sa compagne dans Enquête parallèle qu'il n'hésite pas à doubler la police au grand dam de Derrick et au risque d'y perdre à son tour la vie.

- Est-ce que tu regardes plutôt les épisodes comme du bon théâtre, dont sont issus nombre des acteurs – je pense notamment à l’épisode Le sous-locataire que pour ma part je ne me lasse pas de revoir tel une bonne pièce, ou te focalises-tu avant tout sur un des personnages de l'histoire en te laissant toucher par sa situation ou sa détresse, voire en t’identifiant à l’un d’entre eux ?

- Ni l’un, ni l’autre. C’est vrai que la série a quelque chose de théâtral, d’ailleurs, le producteur disait que les acteurs qu’il engageait régulièrement représentaient une manière de « troupe » – une grande partie du casting d’ailleurs vient du théâtre – et que la plupart des épisodes sont des drames d’intérieur. Mais pour moi c’est une série télévisée anthologique, dont les seuls visages récurrents sont bien ceux des inspecteurs qui parfois apparaissent très peu. Je prise plus particulièrement certains épisodes en raison d’acteurs que j’aime revoir comme Pierre Franckh, Peter Kuiper qui est justement hilarant dans Le sous-locataire ou encore Wolfgang Müller.


Pièce de théâtre Das Lebenretter avec trois acteurs fréquemment vus dans Inspecteur Derrick, Klaus Schwarzkpof (assis) et à droite Ursula Lingen et Peter Fricke.

Trois autres acteurs coutumiers des scènes de théâtre, apparus plusieurs fois dans la série Inspecteur Derrick, de gauche à droite Wilfried Baasner, Susanne Uhlen et Wolf Roth, participant en 1987 à un jeu télévisé "Na siehste !".

- Les interprètes ponctuels confèrent une vraie épaisseur à leurs personnages successifs qu’ils doivent rendre parfaitement convaincants, car ce sont souvent eux qui se trouvent au premier plan d’un épisode, parfois plus encore que l’enquête policière elle-même, et c’est sur eux que repose l’intensité dramatique de l’histoire, même s’il semble que le public français les ait peu identifiés – et ce blog va tenter partiellement d’y remédier. Horst Tappert et Fritz Wepper qui incarnent les héros récurrents ont finalement une charge moindre, leur responsabilité étant de dire correctement leur texte relatif à l’enquête de manière à servir l’argument narratif de l’intrigue, le premier déplorait ainsi régulièrement de n’être finalement qu’un faire-valoir de l’histoire, et je suis moi-même enclin à penser qu’ils ne sont pas nécessairement l’élément déterminant de la réussite de la série. Il semble cependant qu’ils jouissent d’une popularité toute particulière bien que Reinecker n’ait probablement pas nécessairement cherché à en faire des vedettes. Estimes-tu pour ta part que le duo manifeste une qualité de jeu capable de marquer particulièrement les spectateurs au point qu’on les a finalement jugés indissociables de la série, contrairement à l’autre série célèbre produite par Helmut Ringelmann, Le renard (Der Alte) dont le rôle-titre a été au fil des saisons attribué à plusieurs interprètes ?

- Oui, même si l’identification est sans doute moins indissoluble par exemple qu’avec Peter Falk qui s’est totalement approprié le rôle-titre de Columbo, Horst Tappert, par sa présence à l’écran, sa grande taille et son regard, avait quelque chose de rassurant, puis il était vraiment excellent, toujours dynamique, jusque dans les derniers épisodes, alors qu’il était âgé de plus de 70 ans ! Mais est-ce qu’on aurait pu envisager de le remplacer, comme on l’a fait pour Le renard ou même pour Siska, la série qui a succédé à Inspecteur Derrick ? Je ne le pense pas, et cela n’aurait probablement pas fonctionné. On pourrait peut-être considérer que Fritz Wepper est moins indispensable, mais on est nonobstant habitué à voir le duo fonctionner ensemble, soudé presque à la manière d’un "couple". Je suis heureux que la série ait conservé le même interprète principal tout au long de ses 25 années.

- As-tu eu l’occasion de voir certains des acteurs de la série dans des longs-métrages, bien qu’ils aient surtout tourné pour la télévision, à commencer naturellement par Horst Tappert – dans l’article qui lui est consacré sur le présent site est évoquée sa participation à des longs métrages basés sur des œuvres du célèbre auteur anglais de romans policiers Edgar Wallace ?

- Pour le moment, je n’ai pas vu Horst Tappert dans des films, mais en revanche, j’ai reconnu Fritz Wepper dans Le dernier combatnota : il s’agit du premier film de Luc Besson avec Pierre Jolivet et Jean Bouise, une œuvre apocalyptique en noir et blanc présentée au Festival fantastique d’Avoriaz, voir l’article sur l’acteur – et j’aimerais le voir dans Cabaret. Il m’est arrivé par exemple d’apercevoir des visages familiers de la série en tant que petits rôles dans des films allemands ou même italiens, par exemple Raimund Harmstorf que l’on a vu dans deux épisodes, a eu une carrière internationale, il a joué notamment avec Bud Spencer dans la série Le professeur.

Fritz Wepper dans le rôle muet de l'antipathique Capitaine du Dernier combat.

- Tu regardes beaucoup de séries policières allemandes, un certain nombre d’acteurs ponctuels de la série Inspecteur Derrick, quand ils n’ont pas fini par tenir la vedette de leur propre série comme Henry Von Lyck (En quête de preuves) et Peter Kremer (Siska), sont apparus ponctuellement dans d’autres séries comme Le renard ou Un cas pour deux. Te souviens-tu d’en avoir vu interpréter dans ce cadre des personnages aussi marquants que ceux qu’ils ont incarnés dans Inspecteur Derrick ?

- J’adore vraiment les séries allemandes, mais d’après celles que j’ai vues – environ une vingtaine – aucune n’a donné autant de matière à des acteurs qu’Inspecteur Derrick. Le renard, bien sûr, a offert d’excellents rôles, mais j’ai remarqué que dans la plupart des séries comme Un cas pour deux, Le clown ou encore L’empreinte du crime, les acteurs remarqués dans la série conçue par Herbert Reinecker jouent le plus souvent des méchants assez stéréotypés. Je suis néanmoins toujours heureux de les retrouver à l’écran, quelle que soit la qualité du rôle.

Le duo d'Un cas pour deux.

- Que dirais-tu à quelqu’un estimant que si les interprètes ponctuels de Derrick – qui ont il est vrai souvent fait une partie importante de leur carrière sur les planches – étaient vraiment de grands acteurs de l’audiovisuel, ils auraient davantage tourné dans des films plutôt que pour des séries télévisées, réalisées dans de plus rapides délais et dans un cadre plus formaté, ce qui de plus leur aurait souvent conféré une plus grande notoriété que des apparitions ponctuelles sur le petit écran ?

- Ce que j’aime dans Inspecteur Derrick et plus globalement dans les séries allemandes, c’est qu’à l’inverse de pays comme la France ou les États-Unis où il a longtemps été considéré comme infamant pour des acteurs de théâtre ou de cinéma de travailler à la télévision, il ne semble pas y exister en Allemagne de frontière étanche. Bien sûr, lorsqu’un acteur de théâtre vient tourner dans un ou deux épisodes d’Inspecteur Derrick, lequel est vu par vingt millions de téléspectateurs, ça peut servir sa notoriété auprès du public.

Mais le problème est que comme Pierre Franckh, qui a joué dans 14 épisodes à ce que je crois me souvenir, ces apparitions peuvent les conduire à être estampillés en tant qu’"acteur de la série Inspecteur Derrick" et compromettre leur engagement pour d’autres rôles, mais ils savent aussi être polyvalents et une partie de la distribution de la série est aussi très active dans le domaine du doublage.

- Quels sont tes épisodes préférés ?

- Je pourrais en citer a beaucoup. Du sang dans les veines est pour moi au-dessus des autres. Une bonne partie des épisodes traitent du thème de la drogue dans la jeunesse, mais aucun n’est plus viscéral que celui-là. On y voit un jeune homme tenter de désintoxiquer une jeune femme toxicomane, la colocataire et amie de sa sœur morte d’une overdose. C’est vraiment déchirant : Manfred Zapatka et Verena Peter dans les rôles respectifs sont bouleversants. Et, fait rare, l’épisode se termine sur une lueur d’espoir. J’adore aussi Le mystère dont l’intrigue est vraiment machiavélique – ce site le détaillera prochainement, Une vieille histoire (un homme est accusé d’avoir perpétré un assassinat par le neveu du défunt (Mathieu Carrière), vers la fin de la guerre pour lui dérober ses bijoux) anticipe la série Cold Case avec un excellent Herbert Fleischmann, lequel est aussi présent dans le touchant La jeune fille en jeans précité, et j’adore aussi La sixième allumette avec sa bande de jeunes acteurs brillants. Pour ce qui est des derniers épisodes, je citerais Tuer ce que l’on aime qui évoque frontalement l’homosexualité, avec Gerd Anthoff, remarquable.

Rudolf Schenke (Manfred Zapatka) tente désespérément d'arracher à sa dépendance à la drogue Magda Mende (Verena Peter), prête à se prostituer pour ses doses, laquelle est la colocataire de sa sœur décédée d'une overdose.

- Existe-t-il à l’inverse des épisodes qui n’ont pas complètement répondu à tes attentes ?

- C’est le cas pour certains épisodes de la fin de la série, à commencer par Appartement 416 qui est excessivement "cul-cul la praline" (sic) et Béatrice et la mort qui est complètement déprimant, ainsi auparavant qu’Un plan diabolique que je trouve pour ma part extrêmement manichéen, avec le policier dont des criminels assoiffés de vengeance tendent de rendre responsable d’un assassinat le jeune fils qu’ils ont à cette fin entraîné dans le cambriolage d’une demeure

Derrick est embarrassé d'annoncer à son collègue qu'à la suite d'une machination son fils est soupçonné de meurtre dans le bien nommé épisode Un plan diabolique.

- As-tu apprécié l’épisode qui clôt la série, ou aurais-tu préféré une autre fin, voire un épilogue plus tragique – la dernière scène montre Derrick sortant de la réception donnée pour son départ en raison de sa nomination au siège d’Europol et prenant sobrement congé de son adjoint en s’enfonçant dans la nuit (dans la réalité, l’acteur Horst Tappert avait décidé de quitter la série pour réduire ses apparitions afin de débuter progressivement sa retraite au vu de son âge) ?

- J’ai trouvé cette conclusion trop sobre. Derrick annonce soudain qu’il est muté, on aurait aimé que la série nous en prévienne un ou deux épisodes plus tôt, là, c’est brutal. On vient quand même de passer 25 ans avec lui ! Les producteurs ont ramené une partie significative des visages familiers de la série comme pour un adieu au téléspectateur. Je n’aurais pas aimé qu’il se fasse tuer, ça n’aurait pas collé avec le ton de la série, mais j’aurais apprécié quelque chose de plus honnête, qu’il parte simplement à la retraite – comme le fera Leo Kress dans Le renard en 2007.


La réception de la série

- Comment expliques-tu le décalage entre l'image d'austérité formelle qui colle à Inspecteur Derrick et paradoxalement, l’apparition assez fréquente, même furtive, de nudité féminine au cours des épisodes ? Peut-on dire que le programme assume de s'adresser prioritairement à un public masculin (le producteur Roger Corman récemment disparu reconnaissait pour sa part faire souvent apparaître dans ses films des scènes avec des femmes déshabillées afin d'attirer des adolescents sensibles à ce genre d'image, bien que Reinecker ne vise pas particulièrement un jeune public) ?

- En fait, la série a surtout cette image de quasi-théâtre, de réalisation statique, de rythme lent et d’intrigues répétitives, je pense que la nudité fait partie du réalisme de la série – des intrigues se passent en boite de nuit – et qu’il y a, certes, une part de fantasme sur le corps féminin même s’il est vrai que les femmes en partie dénudées peuplent le monde de la prostitution. Et puis cet aspect plus débridé, voire quelque peu érotique même s’il demeure en arrière-plan, peut aussi servir à atténuer le côté anxiogène que peut présenter la série. Et tout ce qui peut attirer le téléspectateur est toujours utile.

- Comment comprendre que dans l'Allemagne conservatrice voire pudibonde (en dehors de la Bavière, le protestantisme est bien présent en Allemagne, souvent plus rigoureux encore que la morale catholique – sans oublier les Huguenots ayant quitté la France comme les ancêtres de l’acteur Mathieu Carrière), le public n'ait apparemment pas été choqué à ce sujet ?

- Comme tu l’as dit plus haut, le public de Derrick étant probablement majoritairement masculin, il apprécie toujours de voir des femmes dévêtues à l’écran. Je sais que la série est en partie regardée pour cela ! Elle a été tournée à une époque de libération sexuelle – au début des années 1970 – et l’Allemagne n’y a évidemment pas échappé – de plus, la chaîne ZDF qui programmait la série est clairement plus ouverte que des chaînes françaises qui demeurent réticentes à l’idée de montrer de la nudité en première partie de soirée

Un peu de nudité s'affiche déjà sur la couverture de ce roman d'Herbert Reinecker antérieur à sa série Inspecteur Derrick

Il faut vraiment une très bonne vue pour deviner le string minimaliste de cette accorte serveuse qui apparaît devant Hans Peter Hallwachs dans l'épisode Les indésirables. Cette vision n'est pas gratuite car elle indique l'atmosphère licencieuse d'établissements nocturnes dans laquelle se rencontrent des personnages interlopes, des criminels, néanmoins ce plan bref a été retranché de la version italienne. Dans l'épisode Quand les oiseaux ne chantent plus dans lequel il est question de prostitution, l'adjoint de Derrick lance même un clin d'œil complice à une danseuse en petite tenue du bar Mona Lisa !

- On affirme aussi que le public de la série était principalement constitué par le troisième âge – sur une période aussi prolongée, faut-il néanmoins en déduire que le public se renouvelait régulièrement ?

- Je pense que ce sont les petits enfants qui regardaient la série avec leurs mamies, qui sont maintenant grands-parents et permettent le renouvellement du public ! (rires) Il y a ce cliché, qui n’est peut-être pas totalement faux, selon lequel que la série était suivie en grande partie par des personnes âgées, mais elle a été vue par des spectateurs de tout âge – je peux en témoigner puisque je l’ai regardée dès mon enfance. Il y a ceux qui ont été fidèles du début à la fin, les gens qui l’ont prise en cours de route ou à la fin, et les nombreuses rediffusions qui ont permis un renouvellement du public.

- Sait-on si, notamment en Allemagne, la série était suivie et appréciée de la même façon par les différentes classes sociales, ou bien si son public se recrutait majoritairement dans une strate particulière, par exemple plutôt bourgeoise, celle qui prise classiquement une certaine retenue dans le divertissement comme le sociologue Bourdieu l’indiquait ?

- Je n’en sais absolument rien. Mais la série brassait tous les types de classes sociales, il faudrait regarder dans les archives des taux d’audiences de la chaîne s’il est possible de distinguer différents publics.

- On sait que le commissariat est un décor reproduisant au détail près celui de Munich, mais il semble que la plupart des autres scènes aient été tournées dans des lieux et demeures réels, à l’inverse des sitcoms et autres soap operas, et même des épisodes de Columbo qu’on dit tournés en grande partie en studio. Sais-tu s’il y a eu des difficultés de tournage en raison de l’absence de cloisons amovibles permettant une plus grande latitude pour le cadrage en studio que les murs fixes, voire pour ce qui concerne l’éclairage qui doit alors s’adapter aux lieux tels qu’ils se présentent ?

- Je pense qu’il a pu exister des difficultés de tournage surtout à cause du temps, de la neige, du froid, de la pluie dans certains épisodes, qui représentaient les réelles conditions climatiques du moment, mais étant donné qu’il y a très peu de scènes en extérieur, je ne pense pas qu’il y ait eu trop de soucis de manière générale.

Le bureau de l'Inspecteur Derrick

- As-tu relevé si certaines habitations ont pu servir de cadre récurrent pour le tournage de plusieurs épisodes, et si en ce cas, le chef décorateur a eu pour mission de les aménager de manière différente ?

- Oui certaines demeures reviennent parfois, mais c’est nettement plus le cas dans Columbo par exemple (nota : un certain nombre d'épisodes de la série américaine ont été tournés au sein du même studio redécoré d'une histoire à l'autre).

- On trouve parfois quelques ellipses qui proviennent vraisemblablement de versions raccourcies. L'exemple le plus patent est fourni par le premier épisode diffusé, Le Chemin à travers bois avec l’inspecteur Derrick qu’on voit soudain dans l’escalier de la maison dans laquelle se trouve seule la mère de l’assassin en train de coudre, alors qu’on ne nous montre absolument pas comment il est entré et que celle-là n’a pas l’air surprise de sa présence soudaine. On peut supposer que dans une scène précédente, désormais manquante, le policier se présentait au domicile, se faisait ouvrir par la mère, et demandait à voir la chambre de son fils au premier étage à la recherche d'indices éventuels (et peut-être y trouvait-il un nombre important de photos de ses étudiantes), puis redescendait l'escalier, s'adressant à la femme âgée qui avait repris son activité ordinaire - la séquence entière est absente de la version française comme indiqué dans l’article consacré à l’épisode, où on ne découvre ce personnage que dans le dénouement, participant du coup de théâtre qui confond le criminel. 

    Néanmoins, les histoires paraissent la plupart du temps cohérentes et soigneusement mises en scène. Plusieurs photos qui illustrent l’article consacré à Vacances à Madère montrent un éclairage ou un plan différant de ceux retenus au montage, comme celle sur laquelle la nièce de Bubach (Susanne Uhlen) désigne du doigt aux policiers sa maison depuis un emplacement différent de celui de la version finale. Sais-tu si le tournage des épisodes de Derrick a fait l’objet d’un soin tout particulier par rapport aux autres séries tournées de manière standard, en recourant à plusieurs prises comme au cinéma jusqu’à ce que le résultat soit jugé optimal – il est rapporté que le scénariste était particulièrement vigilant à la qualité de l’adaptation de ses histoires ?

- Je crois qu’un épisode d’Inspecteur Derrick était tourné en dix ou quinze jours, mais comme tout le monde était plutôt sérieux, je suppose qu’il y avait très peu de prises successives – en dehors de fous rires entre acteurs lors de moments plus décontractés. Une série télévisée se tourne souvent très vite, même si le scénariste tenait à son texte. Il ne fait pas oublier qu’il y avait des répétitions, ce qui permettait aux acteurs d’apprendre les dialogues par cœur et donc de faciliter le délai de tournage, ce qui est commun.

Photo montrant Horst Tappert et Fritz Wepper répétant leur texte peu avant le tournage d'une scène.

A SUIVRE


mardi 9 juillet 2024

PRICKER : EVADE MALGRE LUI

 

        On dit souvent que la réalité rattrape la fiction, c’est malheureusement ce qu’il s’est produit en France le 14 mai 2024, au péage d’Incarville dans le département de l’Eure, lorsque deux véhicules de l’administration pénitentiaire ont fait l’objet d’une attaque impitoyable par des hommes masqués et lourdement armés surgissant de deux véhicules ayant pris le convoi en tenaille. Deux agents ont été abattus et d’autres ont été blessés très gravement, nécessitant notamment une amputation. Le but de cette opération criminelle était d’extraire un détenu convoqué à une audition, un individu surnommé "La Mouche "à l’instar du personnage tout aussi terrifiant d’un film éponyme de David Cronenberg, et sur lequel planent de terribles accusations d’enlèvements, de tortures et de meurtres.

        La séquence filmée par une caméra de surveillance du réseau autoroutier est d’autant plus choquante pour les spectateurs de la série Inspecteur Derrick qu’ils ont déjà assisté à la scène à l’occasion d’un épisode même si celle-là se déroulait sur un tronçon de route traversant la forêt, mais que cette réédition de l’attaque est cette fois bien réelle, se traduisant par des vies perdues, d’autres brisées, sans parler des familles des différentes victimes à jamais dévastées, alors que celles-là n’ont fait que leur devoir et ce pour un salaire modeste. Il appartiendra à l’enquête de déterminer si le ministère de la Justice n’a pas sous-estimé la dangerosité du détenu en ne prévoyant pas une escorte plus importante et aguerrie, avec notamment le concours des forces de la gendarmerie.

Un fourgon s'avançant vers son sinistre destin dans le 76 ème épisode d'Inspecteur Derrick.

        Ce tragique évènement qui a défrayé la chronique et vient conforter le constat d’une montée de l’intensité des attaques à l’encontre de l’autorité de l’État en France donne une triste occasion de se replonger dans cet épisode, Pricker, dont le début fait basculer une mission ordinaire dans l’horreur. Mais comme souvent dans la série, l’ingénieux scénariste Herbert Reinecker fait prendre à l’intrigue un détour inattendu au lieu de la simple traque des tueurs, et l’on se propose donc de détailler cet épisode.

        Peu de temps avant le transport à Munich de deux prisonniers pour des comparutions, l’une des deux audiences est ajournée et l’intéressé, Hamann (Dirk Galuba), est reconduit dans sa cellule, ce qui l’irrite fort. Durant le déplacement, le convoi est mitraillé, et les hommes de main d’Hamann qui ont commis un véritable massacre des agents pénitentiaires découvrent à l’intérieur du fourgon que celui qu’ils devaient libérer ne s’y trouve pas, la cellule ne renfermant qu’un petit homme faisant piètre figure, Alfred Pricker (Klaus Schwarzkopf). Ils s’apprêtent à repartir, assez désappointés, lorsque leur meneur réalise qu’il est risqué pour eux de laisser en vie le détenu qui les a vus à visage découvert. Le temps de se raviser, celui-ci, méfiant, a eu le temps de s’enfuir et s’est caché dans la forêt. Les criminels repartent alors avant de risquer d’être arrêtés.

Hamann (Dirk Galuba) attend sereinement dans sa cellule d'en être extrait pour sa présentation devant le juge.

Deux détenus sont sortis de prison pour être acheminés au tribunal.




Le convoi pénitentiaire est attaqué avec une grande sauvagerie lors d'un guet-apens, mais le fourgon ne renferme pas Hamann, mais seulement Alfred Pricker (Klaus Schwarzkopf), un petit escroc.

       Se renseignant sur l’identité du fugitif, l’Inspecteur Derrick ne tarde pas à déduire que le prisonnier de petite envergure est sûrement étranger à cette terrible action et lorsqu’il apprend des responsables du centre pénitentiaire qu’un second détenu devait être acheminé vers le palais de justice, il se persuade aussitôt que celui-ci est l’instigateur de l’entreprise qui visait à permettre son évasion, la colère exprimée lors de son retour en cellule signifiant indubitablement son amère surprise devant l’échec de ce plan.



Hamann n'a pu dissimuler sa colère lorsqu'un appel téléphonique à l'administration pénitentiaire avait averti du report de son audience, mettant en échec son plan criminel.

        Tout en lançant des recherches pour retrouver Pricker qui, apeuré, continue de se cacher, Derrick concentre son enquête sur Hamann qui comprend vite les soupçons qui pèsent sur lui, et il fait surveiller son épouse Josefine (Gaby Herbst), mannequin de mode, qui se rend dans un bar appartenant à un nommé Jablonski, suspecté de diriger des affaires criminelles, mais qui n’a jamais pu être inculpé. Harry Klein assène à l’épouse qu’il ne peut comprendre qu’elle ne veuille pas divorcer, lui disant sans élégance qu’elle ne sera « plus fraîche lorsqu’il sortira de prison dans huit ans », à moins qu’elle n’ait escompté son évasion. Derrick rend une nouvelle visite à celle-là en lui disant qu’il est convaincu que l’argent que son mari a réussi à dissimuler devait servir à rémunérer Jablonski pour monter l’opération.






L'Inspecteur Derrick ne tarde pas à convoquer Hamann au parloir pour l'interroger mais cible aussi ses investigations sur son épouse Josefine (Gaby Herbst), s'efforçant en vain d'obtenir des aveux en lui montrant dans le journal les vies détruites par les complices de son mari.

        Pendant ce temps, Pricker, bien mal en point, est recueilli par une veuve à forte personnalité, Franziska Sailer (Ruth Drexel) et sa fille Hanni (Ute Willing – qui a d’ailleurs exercé dans la réalité le métier de mannequin prêté à la femme d’Hamann), lesquelles, apitoyées par ce petit homme terrorisé qui se dit résigné à ce qu’on appelle la police, l’accueillent afin de lui assurer les soins de première nécessité. La jeune fille qui travaille à mi-temps manque même sa matinée d’école pour pouvoir prendre le petit déjeuner avec lui. La mère doit aussi le protéger de sa voisine trop curieuse, Madame Zander (Maria Singer), prête à s’inviter sans prévenir au domicile et à espionner au travers du trou de serrure, en présentant son invité comme le frère de son époux, ce qui n’endort pas la méfiance de cette commère inopportune et même plutôt malveillante même si elle concède une certaine vraisemblance à cette supposée ressemblance.

La jeune Hanni Sailer (Ute Willing) découvre avec inquiétude qu'un homme se cache derrière le linge étendu sur le séchoir du jardin, et rentre précipitamment dans la maison malgré sa demande de secours.



Après avoir fait part de sa rencontre à sa mère Franziska (Ruth Drexel), cette dernière consent à lui porter assistance, le fait entrer dans le domicile, lui permet de prendre un bain et lui prête la robe de chambre de son époux.



Une complicité s'instaure assez rapidement entre le fugitif et l'adolescente.





La voisine trop curieuse, Madame Zander (Maria Singer) est d'une curiosité inextinguible qui ne le cède qu'à son incroyable sans-gêne, n'hésitant pas à entrer de force au domicile de la famille Sailer afin de s'enquérir de l'identité du nouveau venu, présenté comme le frère du mari défunt, sans qu'elle n'établisse un rapprochement avec l'annonce à la radio de l'évasion.

        Madame Sailer se rend finalement chez le frère d’Alfred, Robert Pricker (Werner Schnitzer), qui possède une petite entreprise de menuiserie afin de s’enquérir de l’aide qu’il pourrait lui apporter, mais celui-ci lui répond, comme précédemment à l’inspecteur, qu’il n’a plus de contact avec ce frère indésirable qui a déshonoré sa famille par son comportement – le fugitif avoue finalement qu’il a été principalement incarcéré pour avoir triché au jeu, Franciska s’étonnant alors « qu’on aille en prison pour si peu ». Lorsque la police recontacte Robert Pricker, celui-ci s’en montre surpris en affirmant avoir déjà indiqué à ses services l’adresse que lui a donnée la femme qui l’héberge et Derrick, réalisant aussitôt qu’il s’agit des criminels qui ont abusé de sa crédulité, se précipite avec plusieurs voitures au lieu dit et les forces de l’ordre parviennent à neutraliser les trois tueurs qui n’ont eu le temps que de blesser superficiellement leur cible.

Madame Sailer cherche un appui auprès du frère d'Alfred Pricker, mais celui-ci a tiré un trait sur son parent depuis sa condamnation ; ce contact n'aura pas d'autre effet que de permettre à de faux policiers qui le visitent à leur tour d'apprendre de lui l'adresse où trouver leur cible.

Les tueurs des agents pénitentiaires s'introduisent dans l'habitation dans laquelle est hénergé Pricker, bien décidés à le retrouver avant les autorités de manière à éliminer ce témoin gênant.

        Pricker est un épisode assez touchant. Un concours de circonstances change un évadé inoffensif en gibier apeuré et terrorisé, pour reprendre les termes de son hôtesse, initialement si insignifiant mais sur lequel plane une mise à mort imminente pour s’être simplement trouvé au mauvais endroit et au mauvais moment. Parallèlement à cette menace se met en place un noyau familial qui se reconstitue, alors que le fuyard finit par être totalement intégré dans sa nouvelle résidence au point d’aller se baigner en compagnie de la jeune fille lors d’une excursion pendant que la mère surveille les bicyclettes. En endossant les vêtements de l’époux décédé, il reprend également la place laissée vacante par celui-ci auprès des deux femmes. Mieux, alors qu’il existait des tensions palpables entre la mère et la fille, la présence d’Alfred Pricker exerce un effet apaisant, comme si la cellule familiale était régénérée et dorénavant rééquilibrée.





Une promenade dans la nature conforte une vraie entente entre l'évadé, la veuve et sa fille, à la manière d'une sortie familiale.

        On peut créditer Klaus Schwarzkopf d’avoir si bien su conférer à son personnage une incarnation d’homme perdu et attendrissant, et l’épilogue débouche sur une réaffirmation de l’harmonie recréée lorsque, touché par une balle, il demeure sur le sol en attente des secours, tendant la main pour que Madame Sailer la prenne dans la sienne dans un geste de concorde bienveillante venant clore ces épreuves. La partition de Frank Duval apporte une touche supplémentaire d’émotion, qu’il s’agisse de souligner le réconfort que les trois personnages amenés à se rapprocher reconnaissent éprouver en assemblant les morceaux de leur existence bousculée, de faire ressentir au frère du fugitif son indifférence face à la solitude de celui-ci, ou sur un mode plus grave d’accompagner la tentative de Derrick de faire avouer sa responsabilité à Madame Hamann qu’on devine quelque peu éprouvée lorsqu’il la confronte à la mort des deux policiers pères de famille abattus par ses complices alors que le second vient de succomber à ses blessures. A la différence de nombre d'épisodes sombres, Pricker comme Lena évoqué précédemment débouche sur une belle aventure humaine, lorsque des circonstances tragiques amènent des êtres humains à se reconnaître comme des semblables et à se retrouver dans une forme d'harmonie. Aussi parfaitement réussie que soit la série américaine analogue Columbo, un épisode d’Inspecteur Derrick comme Pricker démontre bien à quel point celle conçue par le scénariste Herbert Reinecker met bien davantage l’accent sur la nature humaine, ne nous laissant pas indifférents, qu’il s’agisse de nous ébranler en nous confrontant à la noirceur humaine la plus absolue ou de susciter l’émotion devant la fragilité des existences, et la compassion que celle-là peut parfois susciter.



Début d'une relation sentimentale ou simple moment de réconfort après l'épreuve, Pricker blessé, sauvé de justesse par les policiers, tend la main vers Madame Sailer qui la saisit, sous le regard assez impassible de l'Inspecteur Derrick.

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