samedi 18 novembre 2023

UN TRUC SUPER : LE TRIOMPHE DE LA VANITE

 

    L’inspecteur Derrick est appelé pour élucider un vol commis au sein d’une banque dans laquelle il n’y a pas eu véritablement d’effraction. Un truc super (Das Superding) représente un épisode dans lequel la perspicacité de l'Inspecteur Derrick paraît pour une fois prise en défaut – même si dès l’annonce d’un possible cambriolage par un homme abattu peu après son appel téléphonique au directeur de l’établissement, le policier qui visite pour la première fois l’espace sécurisé lève la tête avec une certaine curiosité en direction des petites ouvertures carrées destinées à l’aération, comme si son intuition l’aiguillait contre toute évidence vers ce qui constituera la solution du mystère qu’il sera bientôt appelé à tenter de résoudre, cependant en vain jusqu’à ce qu’il apprenne la vérité d’une manière indirecte.



Un homme (Horst Sachtleben dans le rôle d'Eberhard Witte) prévient le directeur d'une banque d'un projet imminent de cambriolage.



Le banquier Veicht indique à Stefan Derrick que selon un informateur, son établissement va bientôt être dévalisé et lui explique les dispositifs de sécurité présents sur le site.

    Le mystère de la chambre forte close

    Une fois le forfait effectivement commis, le policier est bien forcé de constater une seconde fois que les ouvertures surplombant la salle du coffre sont trop étroites pour permettre l'accès des malfaiteurs, et il est contraint d’avouer son impuissance à résoudre le crime devant le directeur de la banque (joué par Ulrich Haupt, qui interprétait un cambrioleur sans état d’âme dans un épisode précédent, Un triste dimanche).

    Curieusement, le scénariste Herbert Reinecker n’a pas désiré faire de cette énigme un élément d’interrogation pour le spectateur ordinairement amené dans les œuvres similaires à s’identifier au détective au travers de ses investigations, puisque dans le cas présent il fait de lui le témoin direct du cambriolage en lui permettant d’assister à toute l’opération depuis son commencement – tout comme il lui avait dévoilé que le témoignage de Léna dont les policiers doutaient était fiable au début de l’épisode éponyme détaillé dans un article dédié précédent. Gerke, ancien professeur de mathématiques joué par Horst Buchholz, lequel a dû quitter son métier suite aux séquelles d’un accident, a acheté une discothèque située en face de la banque et entrepris de faire creuser un tunnel jusqu’à l’établissement, le volume sonore de la musique couvrant le bruit des travaux. 


Les deux inspecteurs se font offrir un verre par Gerke (Horst Buchholz), le tenancier d'un établissement nocturne qu'ils pensent avoir quelque rapport avec le projet criminel visant la banque toute proche.


Dans son sous-sol, Gerke fait percer un tunnel en direction de la banque avec ses complices incluant Eduard Krummbach joué par Gottfried Jones (à droite sur la photo du bas) qui sera l'objet d'une surveillance particulière par la police.

    Lorsque l’accès au conduit de ventilation est dégagé, il fait venir un nain, Kranz (Fritz Hakl, vu dans Le Tambour, au visage poupin rappelant le héros lilliputien de La monstrueuse parade de Tod Browning), dont la petite taille lui permet de se glisser jusqu’à son ouverture, de descendre dans la salle grâce à un treuil et de ramasser l’argent placé dans le coffre après en avoir dynamité la porte.


Gerke va chercher à la gare sa botte secrète, un homme de petite taille, Kranz (Fritz Hakl), indispensable à son plan.



Le malfaiteur agile se glisse grâce à sa taille menue jusqu'à la salle du coffre avant d'en repartir avec les liquidités.

    L’ancien enseignant se félicite de son plan ingénieux et de l’exactitude de ses calculs, mais il est trahi par l’élément humain. Une danseuse de la discothèque, qui entretenait de manière non exclusive et intéressée quelque relation avec un des complices, Eberhard Witte, l’avait quitté pour le frère du banquier, principal initiateur avec l’enseignant de cette entreprise malhonnête, et la jalousie avait amené l’éconduit à menacer de toute révéler si son rival ne rompait pas avec elle. Ce dernier l’a donc fait abattre avant qu’il ne dévoile le plan au directeur de la banque en échange d’une somme d’argent, mais son ancien collègue Krummbach (Gottfried John, apparu dans un James Bond et dans Astérix et Obélix contre César dans le rôle du dirigeant de l’Empire romain), qui faisait aussi partie de la bande, savait que c’était le frère du banquier qui l’avait tué et comme Derrick le faisait suivre en connaissant sa proximité avec la victime, il a été le témoin de l’altercation entre les deux hommes. L’intéressé refuse cependant obstinément de coopérer avec l’enquêteur. Étant donné que Krummbach et son défunt ami fréquentaient couramment la discothèque, l’Inspecteur Derrick soupçonne le patron d’être lié au cambriolage et il finira par perquisitionner les sous-sols, découvrant la galerie souterraine et la combinaison harnachée miniature, comprenant alors le procédé utilisé pour dérober les liquidités.  

Jusqu'à cet instant, Stefan Derrick ne pensait pas qu'un être humain pouvait s'introduire dans ce conduit d'aération aux dimensions réduites. 

    C’est donc un élément totalement extérieur au plan qui aboutit à l’arrestation du commanditaire. Le scénariste Herbert Reinecker semble nous dire qu’aussi brillants que paraissent être les criminels et aussi préparés que soient leurs projets, ils ne sont jamais à l’abri d’impondérables, du "grain de sable" qui vient gripper la machine parfaitement huilée, rendant la réussite toujours quelque peu incertaine, d’autant que l’illégalité suppose le secret et la parfaite solidarité entre les individus qui s’associent pour commettre ce genre d’acte.

    La rancœur au cœur

    Un des ressorts de la motivation de Gerke est le ressentiment, l’accident causé par un chauffard qui a endommagé sa mémoire l’ayant privé de son métier, et l’assurance refusant par ailleurs d’indemniser son handicap en arguant du fait que sa gestion de la discothèque démontrerait qu’il a retrouvé l’essentiel de ses capacités, il considère qu’il a une revanche à prendre. L’origine de son projet rappelle la comédie de 1964 Faîtes sauter la banque (connue en Allemagne sous le titre de Balduin, der Geldschrankknaker pour les lecteurs germanophones) de Jean Girault dans laquelle Victor Garnier joué par Louis de Funès entreprend également de creuser une tranchée souterraine entre son magasin de vente d’articles de chasse et de pêche et l’établissement du banquier André Durand-Mareuil interprété par Jean-Pierre Marielle, estimant légitime de s’emparer de l’argent détenu par celui qui lui a conseillé de mauvais placements en bourse et ne semble guère gêné des conséquences financières désastreuses pour le patrimoine de son client.


Les relations sont devenues assez tendues entre le banquier Durand-Mareuil et le commerçant Victor Garnier (à droite) dans le film Faites sauter la banque de Jean Girault, depuis que le premier l'a amené à investir à perte dans une société sitôt nationalisée par le gouvernement du Tanganyka. 

Garnier (de Funès) entreprend de rentrer dans ses fonds en creusant un tunnel entre son magasin et le coffre-fort de la banque.

    Le dénouement de l’épisode Un truc super paraît quelque peu déconcertant, car, à la différence des gérants de la salle de jeu clandestine de l’épisode Calcutta qui disparaissent subitement dès que la police commence à s’intéresser de trop près à l’établissement alors même que l’Inspecteur Derrick a indiqué à un de ses responsables joué par Pinkas Braun qu’il n’est là uniquement que pour retrouver un meurtrier, Gerke, qui a laissé son complice Krank repartir avec l’argent dissimulé dans un étui à contrebasse, attend patiemment dans sa discothèque l’arrivée du policier au lieu de prendre la fuite avec une part de butin. La satisfaction étrange qu’il affiche alors donne l’impression que la confirmation de l’exactitude de ses calculs et la réussite de son plan ayant prouvé ses capacités sont finalement plus importantes que son propre destin, ce moment triomphal faisant passer au second plan la perspective des années de prison qui l’attendent inévitablement.


Gerke jubilant devant l'excellence de ses calculs lors du percement du tunnel, et il est encore tout auréolé de fierté lorsque Derrick qu'il attend sagement vient l'arrêter.

    Une telle attitude serait assez incompréhensible si elle ne s’expliquait par l’orgueil du personnage. On trouve un profil comparable dans un épisode de la série Columbo diffusé le 22 mai 1977 aux États-Unis, Les Surdoués (The Bye-Bye Sky High I.Q. Murder Case). Oliver Brandt (Theodore Bikel) a détourné les fonds de son association de surdoués pour soutenir le train de vie de son épouse Vivian (Samantha Eggar, l’extraordinaire épouse hystérique de Chromosome 3 (The Brood) de David Cronenberg, chef-d'œuvre hitchcockien sous-estimé) ; menacé d’être dénoncé par son ami Bertie, il l’abat à l’étage en faisant croire à l’action d’un rôdeur, mais Columbo est très perspicace comme à son habitude et finit par découvrir nombre d’éléments de la manigance criminelle confirmant sa conviction que Brandt est bien l’assassin, même s’il manque à sa reconstitution un dernier point permettant d’incriminer définitivement le coupable. Celui-ci prend comme un défi la perplexité du détective et se plaît à lui démontrer de quelle manière le plan a pu être finalisé, finissant de convaincre le policier, surpris et ravi de cette précision, que le dirigeant du club des surdoués est bien le seul ayant pu mettre en œuvre cet assassinat parfaitement orchestré avec notamment l’aide d’un tourne-disque et de pétards pour faire croire à une intervention extérieure une fois qu’il avait regagné le salon parmi les membres du club. Oliver Brandt réalise alors qu’il s’est trahi en dévoilant l’ultime secret du procédé utilisé et son visage hilare se fige progressivement alors qu’il vient à son insu de mettre le point final à l’accusation que son antagoniste a élaborée, tout à son plaisir intellectuel de prouver son ingéniosité. Ces esprits qui se pensent supérieurs auront finalement abandonné toute prudence à leur propre détriment, ils auront été perdus par leur vanité.



L'inspecteur Columbo dans l'épisode Les surdoués de la série éponyme peine à déchiffrer les derniers détails du dispositif ayant permis à l'assassin de se créer un alibi pour le meurtre de son ami qui s'apprêtait à révéler son détournement d'argent et celui-ci se montre très satisfait de pouvoir lui démontrer la perfection du mécanisme.



Sitôt l'explication énoncée, Oliver Brandt réalise qu'il s'est trahi en livrant les secrets du procédé ayant parfaitement simulé des coups de feu en son absence grâce à des pétards devant l'ébahissement ravi du détective qui n'a plus alors qu'à demander des aveux signés à celui qu'en dépit de son ingéniosité, son orgueil a perdu.

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mercredi 6 septembre 2023

QUAND DERRICK PREFIGURE TERMINATOR 2

 

Non, Horst Tappert n'a pas incarné dans la série Inspecteur Derrick un cyborg invulnérable comme Arnold Schwarzenegger sur le grand écran, mais un épisode n'est pas sans annoncer la thématique du film Terminator 2 : le jugement dernier.

        Se risquer à affirmer que la série Inspecteur Derrick demeure d’actualité, par les situations qu’elle expose intelligemment en questionnant la condition de l’homme moderne, conduit généralement à se heurter à une incrédulité parfois mêlée d’imbécilité. Si, à fortiori, on avance que le scénariste a porté sur le devant de la scène la question très actuelle des enjeux que pose depuis quelques mois la perspective imminente d’immixtion de l’intelligence artificielle dans l’organisation du travail et même dans tous les aspects de la vie sociale, on risque la franche hilarité de l’interlocuteur.

        Pourtant, un épisode s’interroge sur cette problématique, et on peut même préciser catégoriquement que celui-ci préfigure par son sujet le thème principal du film de science-fiction à succès réalisé en 1991 par James Cameron Terminator 2 : le Jugement dernier (Terminator : Judgment Day). Le sujet d’Un homme en trop (Dr Römer and der Mann des Jahres) réalisé en 1986 par Theodor Grädner annonce en effet quelque peu l’intrigue du film de James Cameron.

            Un chercheur en électronique est abattu en début de soirée à son bureau. Deux témoins ont aperçu le visiteur, le premier sur le parking alors qu’il quittait son travail, le second est la femme de ménage qui débutait son service et a pris l’ascenseur en même temps que l’homme. Les deux descriptions concordent et s’accordent pour identifier catégoriquement le Docteur Römer (Erich Hallhuber) qui travaillait quelques mois plus tôt pour la société. La piste mène cependant à une impasse étant donné que le principal suspect est décédé trois mois plus tôt. 


Un établissement dans lequel on fait de la recherche de pointe en informatique.






Un visiteur nocturne inattendu qui abat un des scientifiques et que les témoins comme le concierge Gantner (Rolf Castell) disent avoir reconnu.

        Ebranlé par leur certitude, Derrick demande à rencontrer le Docteur Rotheim (incarné par Ernst Schröder) en charge d’un centre de soins psychiatriques, qui lui dit qu’il a bien connu le Docteur Römer, interné en raison de sa dépression lui ayant fait douter du sens de son travail, qu’il dépeint comme un homme intelligent et d’une grande sensibilité et qui lui confirme qu’il est subitement décédé, assurant qu’il a assisté à son enterrement ainsi que son personnel. Perplexe, Derrick rencontre à son domicile le responsable du programme de recherches sur l’intelligence artificielle, le Professeur Rauth (Hans Dieter Zeidler), qui le persuade de l’importance de ses travaux, ce qui l’amène à se demander si le Docteur Winter n’a pas été tué à la place de cette cible toute désignée, lorsque le tueur appelle du dehors le scientifique et manque de peu de l’abattre. Celui-ci est formel, en dépit de l’obscurité, il confirme à son tour avoir sans hésitation reconnu son ancien collègue.


Derrick (au milieu) et son assistant Berger (à droite) débutent leur enquête en ce haut lieu de la technologie.

Derrick interroge le responsable du programme, le Docteur Rauth (Hans Dieter Zeidler).

L'épouse du Docteur Römer (Margarete Stein) affirme que la disparition de son mari l'a fortement attristée.


Derrick et son adjoint Klein visitent la clinique psychiatrique où vivait le Docteur Römer que les témoins disent avoir identifié, sous la conduite de Sœur Berta (Maria Singer) avant de rencontrer son directeur .

Le Docteur Rotheim (Ernst Schröder) qui ne tarit pas d'éloges sur le Docteur Römer dont il avait la charge s'irrite lorsque Derrick resserre son enquête sur son patient supposé défunt.


Un tireur tente de tuer le Dr Rauth à son domicile après l'avoir hélé depuis l'entrée de sa demeure. 

        Cette fois, Derrick entreprend de faire exhumer la dépouille supposée du Docteur Römer en présence de sa veuve, laquelle à son grand étonnement affirme qu’il s’agit bien de son défunt mari. Troublé, l’inspecteur principal décide de montrer nuitamment au Professeur Rauth le cadavre lors d’une nouvelle exhumation et à l’inverse, celui-là dénie tout aussi catégoriquement qu’il puisse s’agir de son ancien collaborateur. Pendant ce temps, Harry Klein apprend de la doctoresse Brigitte Schenk (Kristina Nel) qu’elle a été affectée dans le service du Professeur Rotheim juste après la mort de Römer, en remplacement d’un médecin dont elle a rassemblé les affaires mais qu’elle n’a jamais pu contacter. Les policiers sont dorénavant persuadés que le Docteur Rotheim a fait passer son collègue défunt suite à une maladie fulgurante pour le Docteur Römer de manière à fournir à son patient le parfait alibi, et que sitôt averti par l'Inspecteur principal de l’exhumation, il a téléphoné à Madame Römer pour lui annoncer que son mari était vivant et qu’elle devait dans son intérêt feindre de le reconnaître lors de l’ouverture du cercueil. Pendant ces trois mois, celui-là a occupé le logement du médecin décédé dont les traites étaient payées mais lorsque Derrick s’y rend, il a quitté l’habitation. Le Docteur Römer, bien vivant et qui s’est employé à démontrer qu’il était sain d’esprit, a en effet convaincu le professeur Rotheim du danger que ferait courir à l’humanité la mise au point d’un ordinateur sans aucune limitation, une intelligence sans morale.



Madame Römer est requise pour identifier le corps de son mari, et Derrick ressort dépité (en bas) de sa confirmation de l'identité du défunt.



Une seconde exhumation menée de nuit dans une séquence digne d'un roman de Gaston Leroux entraîne à l'inverse le Docteur Rauth à affirmer catégoriquement que le mort n'est pas son ancien collègue.

La suspicion que le Dr Rotheim a fait fallacieusement passer l'interné pour défunt se renforce.





Le Docteur Schenk finit par avouer qu'elle n'a jamais eu de contact avec le médecin auquel elle a succédé, amenant les policiers à déduire qu'il a été emporté par une maladie fulgurante et que le responsable de la clinique l'a fait passer pour son patient sujet à la dépression, de sorte que celui-là puisse agir à sa guise.

        Ayant conservé son passe, Le docteur Römer revient dans l’établissement au sein duquel il a œuvré, bien décidé à éliminer le Professeur Rauth. Il surgit dans son bureau et ajuste son arme, mais l’adjoint Berger (Willy Schäfer) qui le protège à la demande de Derrick tire en premier, mettant fin à l’entreprise du savant stoppé net alors qu’il espérait par son geste extrême préserver l’humanité de manière analogue la même année à Johnny Smith sur grand écran dans The Dead Zone de David Cronenberg, voyant malgré lui convaincu par ses visions récurrente qu’un candidat porté à la Maison blanche provoquerait une apocalypse nucléaire. Le chercheur et le policier sont bientôt rejoints par Derrick et Klein, le professeur Rauth les remerciant vivement de l’avoir protégé et d'avoir ainsi sauvegardé l’œuvre entreprise au nom de la science, mais en considérant son visage extatique, illuminé par les multiples clignotements électroniques d’un ordinateur surpuissant digne du Hal de 2001, l’Odyssée de l’espace (2001 : A Space Odyssey), tandis qu'il assène que l'homme n'est rien sans l'ordinateur, on ne peut s’empêcher de songer qu’il prend soudain des atours inquiétants donnant corps aux avertissements de l’assassin.




Le Docteur Römer (Erich Hallhuber) est à ce point déterminé qu'il revient en plein jour sur son ancien lieu de travail, déterminer à achever sa mission en éliminant le Docteur Rauth.


Dans le film Dead Zone (The Dead Zone) de David Cronenberg d'après un roman de Stephen King, Johnny Smith (Christopher Walken) est lui aussi tant persuadé du caractère essentiel de sa mission qu'il est déterminé à perdre la vie dans l'intérêt supérieur de l'Humanité.


Le Docteur Römer (en haut) et Johnny Smith (en dessous) abattus au moment où ils atteignaient au but - mais dans le second cas, le tireur aura indirectement réussi sa mission, une ultime vision lui montrant le politicien psychopathe ayant échappé à ses balles définitivement discrédité par sa conduite peu honorable lors de l'attentat, ayant sauvé sa vie en s'étant abrité derrière une fillette, et décidant finalement de mettre fin à ses jours).

Dès le début de l'enquête de Derrick, le Docteur Rauth se montre prolixe à justifier l'importance de ses travaux.


La dernière image de l'épisode, le visage extatique du Professeur Rauth assurant que la mise au point d'un ordinateur bien plus puissant que l'Homme se poursuivra jusqu'à son terme

La peur de la technologie

        D'autres œuvres de fiction ont évoqué la panique que pouvait provoquer les constantes avancées technologiques donnant corps à la prédiction de Jules Verne "Tout ce qu'un homme peut imaginer, un autre un jour le réalisera". La même année que l'épisode d'Inspecteur Derrick, le téléfilm Bulletin spécial (Special Bulletin) d'Edward Zwick met en scène deux terroristes écologistes, les docteurs Bruce Lyman (David Clennon) et David McKeeson (David Rasche), qui menacent de faire sauter une bombe nucléaire si leur demande de désarmement atomique n'est pas satisfaite. Dans l'épisode Alerte aux neutrons (Final Exam) de la série Au-delà du réel, l'Aventure continue (The New Outer Limits) réalisé en 1998 par Mario Azzopardi, un ancien étudiant, Seth Todtman interprété par Peter Stebbings, menace aussi de faire sauter une bombe à fusion froide pour alerter sur le fait que des moyens de destruction de masse deviennent de plus en plus accessibles aux individus malintentionnés. 

        Il a réellement existé un forcené analogue au Dr Römer inventé par Herbert Reinecker ; ancien enseignant en mathématiques à l'Université de Californie retourné à une vie rurale, Theodore Kaczynski a été arrêté par le FBI en 1996 et condamné à la prison à vie pour des attentats parfois mortels perpétrés entre 1978 et 1995. Il a écrit des manifestes dénonçant l'emprise croissante de la technologie, et par le moyen de colis piégés s'attachait à faire exploser des avions et tuer ceux qu'il estimait représenter une modernité déshumanisante et destructrice de la nature, ciblant notamment des ingénieurs et détenteurs de magasins d'informatique. Les actions de Kaczinsky étaient totalement désespérées et vouées à l’échec. Non seulement, il était prévisible que sa violence extrême ne pourrait initier un vaste mouvement d’adhésion populaire à sa cause quand bien même les lecteurs de son manifeste reproduit dans les journaux en raison de son chantage eussent adhéré à sa dénonciation de la course technologique et de la destruction de l’environnement, mais l’élimination de quelques étudiants, ingénieurs et propriétaires de boutique de matériel informatique ne pouvait objectivement en rien endiguer une mutation globale pratiquement irrépressible touchant à tant de domaines, qu'on s'en félicite ou qu'on s'en désole.



Le Docteur Lyman (David Clennon, en haut à gauche et ci-dessus, un acteur de The Thing) et le Docteur MacKeeson (David Rasche, en haut à droite, vu dans Vol 93) délivrent au journal télévisé leur ultimatum, leur pacifisme radical les ayant finalement fait basculer dans la violence.

Un étudiant paniqué par sa propre découverte de la bombe à fusion froide dans l'épisode Alerte aux neutrons (Final Exam) de la série Au-delà du réel, l'aventure continue (The New Outer Limits).

Le professeur assistant de mathématiques Theodore Kaczynski à Berkeley en 1967, avant qu'il ne retourne à la nature inspiré par le sociologue Jacques Ellul et qu'ayant été témoin de la destruction de son environnement, il n'entame un parcours de terrorisme anti-technologique qui lui vaudra finalement de finir ses jours en prison et d'être diagnostiqué schizophrène paranoïde.

        La science-fiction s’est depuis longtemps interrogée sur le risque théorique que la technologie pourrait faire courir en confiant le destin de notre espèce à une intelligence non humaine, créée en laboratoire par des informaticiens grâce au progrès constant dans la création de processus artificiels de synthèse des connaissances. Un film comme Le cerveau d’acier (The Forbin Project) de Joseph Sargent avait ainsi mis en scène en 1970 un ordinateur surpuissant chargé de la défense des Etats-Unis, afin de la rationaliser en éliminant la subjectivité humaine, lequel finissait par s’entendre avec son homologue créé par les Soviétiques pour mettre l’humanité en coupe réglée pour son bien, palliant à la tendance autodestructrice du genre humain au prix de sa liberté (un dilemme philosophique d’ailleurs aussi posé à la fin de la série française Le Mutant), et ce risque d’une toute-puissance inquiétante avait déjà été évoqué dans le film de 1957 Le garçon invisible (The Invisible Boy). Mais ce que porte de singulier l’épisode Un homme en trop et qu’on retrouve dans Terminator 2 : le Jugement dernier est la volonté par le moyen radical de l’assassinat d’empêcher des chercheurs de mettre au point le cerveau électronique qui pourra supplanter l’Humanité. Dans le film de James Cameron, Sarah Connor (Linda Hamilton) essaie de tuer Dyson (Joe Morton) car elle a appris que c’est son système Cyberdine qui va permettre la guerre des machines contre le genre humain dont l’a avertie un envoyé du futur, Reese (Michael Biehn), poursuivi par un robot lancé à ses trousses dans le film précédent Terminator en 1985.



Les centre de recherches œuvrant sur la fabrication des ordinateurs de la troisième génération, celui d'un système informatique conscient et autonome dans Un homme en trop en haut et Terminator 2 en bas.


Tout le pouvoir de l'Intelligence artificielle dans une petite puce électronique, celle dont le Docteur Römer entre en possession après un premier assassinat dans l'épisode d'Inspecteur Derrick (en haut) et celle de Terminator 2 : le jugement dernier dans une scène coupée (en bas) - censée provenir du premier Terminator détruit à la fin du premier volet cinématographique dans un paradoxe temporel cyclique quelque peu outré.


Le Dr Römer et Sarah Connor (Linda Hamilton) prêts à abattre l'ingénieur dont les travaux menacent la survie du genre humain.


Le Docteur Rauth (en haut) et le Dr Dyson incarné par Joe Morton (en dessous) confrontés à une menace de mort imminente par la main de justiciers qui veulent changer le cours du futur annoncé dont ils vont probablement amener l'avènement.





Le Docteur Dyson est épargné de justesse par Sarah Connor (photo du haut), que son fils et le robot tueur reprogrammé et humanisé joué par Arnold Schwarzegger ont suppliée de persuader le chercheur de détruire son programme plutôt que de le tuer devant sa famille en lui détaillant comment les machines émancipées vont éradiquer l'espèce humaine (seconde photo, machine volante cherchant à exterminer les survvivants); en dessous, Madame Römer, mise tardivement dans la confidence que son mari était toujours en vie et qui a feint devant l'Inspecteur Derrick de reconnaître sa dépouille dans le cercueil, n'a par contre pas pu ou voulu arrêter le projet meurtrier de son ancien époux qui a échoué et l'a conduit à perdre la vie comme Johnny Smith dans Dead Zone (bas).

        Il est possible que cette convergence entre ces deux œuvres ne procède que d’une simple coïncidence. Cependant, un auteur de science-fiction, Harlan Ellison, avait obtenu gain de cause en attaquant en justice James Cameron, clamant que le premier Terminator était inspiré du scénario qu’il avait écrit pour l’épisode Le Démon à la main de verre (Demon with a Glass Hand) pour la série des années 1960 Au-delà du réel (The Outer Limits), dans lequel un androïde venu du futur porte dans sa prothèse de main le patrimoine génétique de l’humanité et est poursuivi jusque dans le présent par des envahisseurs qui ont entrepris dans le futur d’éradiquer notre espèce (l’épisode se déroule en grande partie dans le Bradbury Building où ont aussi été notamment tournées les scènes finales de Blade Runer) – on pourrait cependant aussi évoquer comme précédent le modeste et méconnu film Cyborg 2087 de Franklin Adreon de 1966 qui montre un androïde (Michael Rennie, célèbre visiteur du Jour où la Terre s’arrêta) s’efforçant de prévenir du détournement d’une découverte scientifique sur la télépathie dans le dessein de contrôler les esprits par la société totalitaire de l’avenir ayant lancé deux homologues à ses trousses. C’est peu dire en tout cas que le réalisateur de Terminator n’a pas accueilli en des termes très polis la décision de la justice en faveur de l’écrivain.

                Il est vrai que sur la forme, Un homme en trop et Terminator 2 diffèrent fortement, l'épisode d'Inspecteur Derrick ne bénéficiant effectivement pas du budget très important du film de Cameron, ne faisant pas appel aux cascades, aux effets spéciaux et à l'action, mais sa thématique est très voisine, au travers de son personnage horrifié par l'avènement imminent d'une forme d'intelligence non humaine et de la prédominance que celle-ci pourrait s'octroyer, et qu'on pourrait véritablement qualifier de "justicier par anticipation".

        La série Inspecteur Derrick n’a jamais été diffusée aux Etats-Unis, rare exception pour ce programme apprécié de l’Amérique du Sud à l’Extrême-Orient. Elle est cependant passée en Grande-Bretagne. Or en 1986, trois années après la réalisation de l’épisode, James Cameron se trouvait justement en Angleterre pour y réaliser Aliens. Il n’y a aucune certitude que Terminator 2 emprunte son intrigue à une autre œuvre, mais il existe néanmoins une possibilité théorique que le metteur en scène ait visionné plus ou moins distraitement Un homme en trop à la télévision après le tournage de son film de science-fiction et que cela lui ait donné, au moins inconsciemment, l’idée de conduire son personnage à empêcher par tous les moyens le créateur du logiciel de pointe de mener jusqu’au bout ses recherches. Quoi qu’il en soit, le parallèle entre le Docteur Römer, ange exterminateur terrifié par ce qu’augure la technologie, imaginé par le brillant scénariste Herbert Reinecker, et Sarah Connor, prête à abattre le créateur de l’ordinateur qui va déclencher la guerre d’extermination contre l’humanité, Miles Dyson, est assez irrésistible.

Le réalisateur James Cameron avec la Reine extraterrestre grandeur nature sur le tournage d'Aliens en Angleterre en 1986, à l'époque à laquelle il faisait encore d'authentiques films de science-fiction réalistes avec de véritables effets spéciaux concrets.

"Hasta la vista", on se revoit pour un prochain article sur le blog Rendez-nous Derrick !"

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PS : Parmi la profusion d'articles récents sur l'Intelligence artificielle et sa problématique, le lecteur pourra lire les deux suivants qui récapitulent les informations les plus récentes en la matière en les rapportant aux prévisions de la Science-Fiction :

- les robots, de la fiction audacieuse à l'innovation technologique :  http://creatures-imagination.blogspot.com/2023/04/le-triomphe-du-metal.html

- la prédominance de l'intelligence artificielle prévue par la science-fiction :