L’inspecteur Derrick est appelé pour élucider un vol commis au sein d’une banque dans laquelle il n’y a pas eu véritablement d’effraction. Un truc super (Das Superding) représente un épisode dans lequel la perspicacité de l'Inspecteur Derrick paraît pour une fois prise en défaut – même si dès l’annonce d’un possible cambriolage par un homme abattu peu après son appel téléphonique au directeur de l’établissement, le policier qui visite pour la première fois l’espace sécurisé lève la tête avec une certaine curiosité en direction des petites ouvertures carrées destinées à l’aération, comme si son intuition l’aiguillait contre toute évidence vers ce qui constituera la solution du mystère qu’il sera bientôt appelé à tenter de résoudre, cependant en vain jusqu’à ce qu’il apprenne la vérité d’une manière indirecte.
Le banquier Veicht indique à Stefan Derrick que selon un informateur, son établissement va bientôt être dévalisé et lui explique les dispositifs de sécurité présents sur le site.
Le mystère de la chambre forte close
Une fois le forfait effectivement commis, le policier est bien forcé de constater une seconde fois que les ouvertures surplombant la salle du coffre sont trop étroites pour permettre l'accès des malfaiteurs, et il est contraint d’avouer son impuissance à résoudre le crime devant le directeur de la banque (joué par Ulrich Haupt, qui interprétait un cambrioleur sans état d’âme dans un épisode précédent, Un triste dimanche).
Curieusement, le scénariste Herbert Reinecker n’a pas désiré faire de cette énigme un élément d’interrogation pour le spectateur ordinairement amené dans les œuvres similaires à s’identifier au détective au travers de ses investigations, puisque dans le cas présent il fait de lui le témoin direct du cambriolage en lui permettant d’assister à toute l’opération depuis son commencement – tout comme il lui avait dévoilé que le témoignage de Léna dont les policiers doutaient était fiable au début de l’épisode éponyme détaillé dans un article dédié précédent. Gerke, ancien professeur de mathématiques joué par Horst Buchholz, lequel a dû quitter son métier suite aux séquelles d’un accident, a acheté une discothèque située en face de la banque et entrepris de faire creuser un tunnel jusqu’à l’établissement, le volume sonore de la musique couvrant le bruit des travaux.
L’ancien enseignant se félicite de son plan ingénieux et de l’exactitude de ses calculs, mais il est trahi par l’élément humain. Une danseuse de la discothèque, qui entretenait de manière non exclusive et intéressée quelque relation avec un des complices, Eberhard Witte, l’avait quitté pour le frère du banquier, principal initiateur avec l’enseignant de cette entreprise malhonnête, et la jalousie avait amené l’éconduit à menacer de toute révéler si son rival ne rompait pas avec elle. Ce dernier l’a donc fait abattre avant qu’il ne dévoile le plan au directeur de la banque en échange d’une somme d’argent, mais son ancien collègue Krummbach (Gottfried John, apparu dans un James Bond et dans Astérix et Obélix contre César dans le rôle du dirigeant de l’Empire romain), qui faisait aussi partie de la bande, savait que c’était le frère du banquier qui l’avait tué et comme Derrick le faisait suivre en connaissant sa proximité avec la victime, il a été le témoin de l’altercation entre les deux hommes. L’intéressé refuse cependant obstinément de coopérer avec l’enquêteur. Étant donné que Krummbach et son défunt ami fréquentaient couramment la discothèque, l’Inspecteur Derrick soupçonne le patron d’être lié au cambriolage et il finira par perquisitionner les sous-sols, découvrant la galerie souterraine et la combinaison harnachée miniature, comprenant alors le procédé utilisé pour dérober les liquidités.
C’est donc un élément totalement extérieur au plan qui aboutit à l’arrestation du commanditaire. Le scénariste Herbert Reinecker semble nous dire qu’aussi brillants que paraissent être les criminels et aussi préparés que soient leurs projets, ils ne sont jamais à l’abri d’impondérables, du "grain de sable" qui vient gripper la machine parfaitement huilée, rendant la réussite toujours quelque peu incertaine, d’autant que l’illégalité suppose le secret et la parfaite solidarité entre les individus qui s’associent pour commettre ce genre d’acte.
La rancœur au cœur
Un des ressorts de la motivation de Gerke est le ressentiment, l’accident causé par un chauffard qui a endommagé sa mémoire l’ayant privé de son métier, et l’assurance refusant par ailleurs d’indemniser son handicap en arguant du fait que sa gestion de la discothèque démontrerait qu’il a retrouvé l’essentiel de ses capacités, il considère qu’il a une revanche à prendre. L’origine de son projet rappelle la comédie de 1964 Faîtes sauter la banque (connue en Allemagne sous le titre de Balduin, der Geldschrankknaker pour les lecteurs germanophones) de Jean Girault dans laquelle Victor Garnier joué par Louis de Funès entreprend également de creuser une tranchée souterraine entre son magasin de vente d’articles de chasse et de pêche et l’établissement du banquier André Durand-Mareuil interprété par Jean-Pierre Marielle, estimant légitime de s’emparer de l’argent détenu par celui qui lui a conseillé de mauvais placements en bourse et ne semble guère gêné des conséquences financières désastreuses pour le patrimoine de son client.
Le dénouement de l’épisode Un truc super paraît quelque peu déconcertant, car, à la différence des gérants de la salle de jeu clandestine de l’épisode Calcutta qui disparaissent subitement dès que la police commence à s’intéresser de trop près à l’établissement alors même que l’Inspecteur Derrick a indiqué à un de ses responsables joué par Pinkas Braun qu’il n’est là uniquement que pour retrouver un meurtrier, Gerke, qui a laissé son complice Krank repartir avec l’argent dissimulé dans un étui à contrebasse, attend patiemment dans sa discothèque l’arrivée du policier au lieu de prendre la fuite avec une part de butin. La satisfaction étrange qu’il affiche alors donne l’impression que la confirmation de l’exactitude de ses calculs et la réussite de son plan ayant prouvé ses capacités sont finalement plus importantes que son propre destin, ce moment triomphal faisant passer au second plan la perspective des années de prison qui l’attendent inévitablement.
Une telle attitude serait assez incompréhensible si elle ne s’expliquait par l’orgueil du personnage. On trouve un profil comparable dans un épisode de la série Columbo diffusé le 22 mai 1977 aux États-Unis, Les Surdoués (The Bye-Bye Sky High I.Q. Murder Case). Oliver Brandt (Theodore Bikel) a détourné les fonds de son association de surdoués pour soutenir le train de vie de son épouse Vivian (Samantha Eggar, l’extraordinaire épouse hystérique de Chromosome 3 (The Brood) de David Cronenberg, chef-d'œuvre hitchcockien sous-estimé) ; menacé d’être dénoncé par son ami Bertie, il l’abat à l’étage en faisant croire à l’action d’un rôdeur, mais Columbo est très perspicace comme à son habitude et finit par découvrir nombre d’éléments de la manigance criminelle confirmant sa conviction que Brandt est bien l’assassin, même s’il manque à sa reconstitution un dernier point permettant d’incriminer définitivement le coupable. Celui-ci prend comme un défi la perplexité du détective et se plaît à lui démontrer de quelle manière le plan a pu être finalisé, finissant de convaincre le policier, surpris et ravi de cette précision, que le dirigeant du club des surdoués est bien le seul ayant pu mettre en œuvre cet assassinat parfaitement orchestré avec notamment l’aide d’un tourne-disque et de pétards pour faire croire à une intervention extérieure une fois qu’il avait regagné le salon parmi les membres du club. Oliver Brandt réalise alors qu’il s’est trahi en dévoilant l’ultime secret du procédé utilisé et son visage hilare se fige progressivement alors qu’il vient à son insu de mettre le point final à l’accusation que son antagoniste a élaborée, tout à son plaisir intellectuel de prouver son ingéniosité. Ces esprits qui se pensent supérieurs auront finalement abandonné toute prudence à leur propre détriment, ils auront été perdus par leur vanité.