samedi 6 mai 2023

UNE AFFAIRE ETRANGE : UN VAUDEVILLE PEU ORDINAIRE

L'amant, la femme infidèle et l'homme trompé réunis pour de bien mauvaises raisons.

        L’histoire d’un homme fortuné que sa compagne plus jeune trompe avec un homme de son âge… Un sujet d’une triste banalité, représentant un des schémas récurrents des pièces de boulevard, ces comédies à base de quiproquos dans lesquelles le ressort comique repose sur la double vie des personnages. Le sujet de l’infidélité est bien au centre de l’épisode Une affaire étrange, (Pfandhaus), mais Herbert Reinecker s’empare du thème de manière à lui conférer un prolongement tout à fait singulier. Monsieur Karruska dirige une société de prêts sur gage qui lui rapporte un revenu confortable. Cette existence bourgeoise est cependant troublée par ses soupçons croissants au sujet de la fidélité de sa nouvelle compagne, Ursula Mangold, et à l’instar de sa gouvernante, il finit par ne plus avoir de doutes quant à la raison de ses absences répétées du domicile. En dépit de ses supplications, la jeune femme résiste à ses injonctions. 


Monsieur Karruska s'inquiète des absences répétées de sa jeune maitresse ; celle-là s'efforce de le réconforter mais ne renonce pas pour autant à retrouver dès qu'elle le peut le fougueux Forster à qui elle se donne.

Karruska découvre l’endroit où habite l’amant, Erich Forster, un de ses clients avec laquelle elle s’est liée. Il appelle l’homme au téléphone en le suppliant de lui « laisser son Ursula » mais l’intéressé ne veut rien entendre et lui répond avec morgue qu’il n’a pas d’autre choix que de consentir aux besoins de la jeune femme que lui n’est pas en mesure de combler. L’homme trompé, d'autant plus meurtri que son ancienne femme l'a un jour quitté sans explication,  en conclut qu’il ne peut mettre un terme à cette relation indésirable qu’en éliminant physiquement son rival. Il entre dans l’immeuble, gravit les escaliers et sonne à la porte de Forster qui vit avec un colocataire et lorsque ce dernier s’enquiert de l’identité du visiteur, Karruska fait feu au travers de la porte, abattant par erreur le malheureux.


Dorénavant déterminé à mettre fin à la vie de son rival, Karruska se rend à son appartement et tire au travers de la porte sur l'occupant, mais abat sans le savoir le colocataire de l'intéressé, amenant les experts criminels à chercher tout indice qui permettrait d'identifier l'auteur des tirs.

        À sa grande surprise, Forster le contacte bientôt, l’informe qu’il a assassiné la mauvaise personne et le rassure en lui disant qu’il ne révélera rien à la police. Le jeune homme impécunieux voit à travers ces circonstances tragiques l’opportunité de profiter de la fortune de Karruska. Ursula, informée de ce qu’il a fait, se montre aussi très compréhensive à l’égard de son criminel partenaire. Une liaison perverse lie à présent le trio. En échange de son silence, l’amant exige de pouvoir voir sa maîtresse tant qu’il le souhaite et de bénéficier des conditions de vie somptueuses du couple officiel. Aussi heurtée qu’elle le soit, la victime du chantage n’a d’autre solution que d’accepter cette situation hors normes afin d’échapper à la prison. Forster passe facilement par pertes et profit la vie de son colocataire défunt en assurant à celui qui voulait l’assassiner que le mort n’était pas quelqu’un de particulièrement recommandable, ayant déjà trempé dans des affaires louches, et que sa disparition n’est ainsi pas si regrettable. Le retournement de situation est spectaculaire, mais crédible grâce au jeu inspiré des acteurs. Klaus Maria Brandauer est très convaincant en amant joyeusement cynique, qui respecte scrupuleusement sa promesse de préserver l’anonymat du tueur en y trouvant son propre intérêt, mais prend aussi un plaisir retors à humilier Karruska de toutes les manières, celui-là étant dévolu à assister aux ébats adultérins, réduit selon l’expression populaire à « tenir la chandelle », laquelle lui brûle les doigts. Quant à la jeune femme, jouée par Doris Kunstmann, elle ne montre aucun scrupule à s’afficher devant son compagnon dans les bras de Forster, son absence totale d’empathie à l’égard de l'homme bafoué amenant même le spectateur à se demander pour quelle raison Monsieur Karruska y demeure si attaché, d’autant que lorsqu’une de ses jeunes employées séduisantes dont il admirait l’anatomie se montre prête à le consoler et à lui céder, il l’insulte en la repoussant violemment et en la faisant chuter de son escabeau dans une séquence assez choquante, comme si l’homme trompé était sûr qu’elle n’en voulait qu’à son argent et que cette nouvelle infortune sentimentale le poussait dorénavant à haïr toutes les femmes, réduites à des déclinaisons de l’aimée traîtresse, comme dans l’épisode ultérieur Rencontre avec un meurtrier. Max Mairich incarne à merveille ce petit homme renfrogné, bafoué, bouillant intérieurement d’une rage que l’amant prend un plaisir insolent et sadique à alimenter avec la complicité de l’impudique jeune femme, créant une tension très particulière que les protagonistes peinent à cacher à l’Inspecteur Derrick qui se doute bien que Monsieur Karruska ne fait pas si bon accueil à son rival peu discret de son plein gré. Cependant, c’est bien le téléspectateur, et non les policiers, qui se trouve aux premières loges pour assister à cette situation saugrenue.



L'amant qui a réchappé de la tentative de meurtre informe Monsieur Karruska qu'il n'a aucune intention de révéler sa culpabilité à la police mais qu'en contrepartie, il est fortement incité à se montrer bien disposé à l'endroit de la liaison qu'il entretient avec sa bien-aimée.


L'inspecteur Derrick est persuadé que Forster ne lui dit pas toute la vérité sur les circonstances ayant conduit à la mort de son colocataire et son adjoint Harry Klein découvre à l'occasion d'une soirée festive la singulière proximité qui lie celui-ci à Monsieur Karruska et plus particulièrement à sa jeune compagne.







D'abord sous le charme d'une employée provocante, Helga Löhr (Doris Arden), Monsieur Karruska devient fou lorsque celle-là, guidant sa main sur le haut de sa cuisse, lui fait une proposition explicite en essayant de le persuader de se détourner d'Ursula en sa faveur ; alors qu'elle l'incite à la laisser choir, c'est elle qu'il fait à force de coups chuter sur le sol.

        Le dénouement est tout à fait spectaculaire et laisse comme souvent sans voix à la fin d’un épisode de la série. Le policier intervient au moment où Gustl Karruska cocufié, excédé, oublie toute prévention et, ivre de rancœur et de jalousie, est sur le point de commettre son second assassinat en abattant le rival qu’il avait raté la première fois, estimant sans doute que sa propre vie est à présent si vaine que plus rien d’autre ne compte que sa vengeance. L'inspecteur Derrick arrive juste au moment où l'irrémédiable est sur le point d'être commis et il intime à Ursula qu'elle exige que celui avait qui elle partageait sa vie lui remette son arme, en s'interposant entre lui et sa cible. Par un renversement inattendu et un retour soudain de sentiments, Karruska étreint en larmes sa compagne infidèle, point d’orgue d’un épisode qui n’aura cessé d’étonner le spectateur et aura une nouvelle fois illustré les ravages de la passion amoureuse non partagée.




Karruska décidé à achever en tragédie ses déboires amoureux, prêt à supprimer l'amant d'Ursula avant se re réconcilier brièvement avec elle dans un soudain épanchement sentimental surpassant sa colère.

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lundi 6 mars 2023

UN ALIBI INTERESSE ? LENA

L’épisode Lena débute sous l’auspice des suites d’un divorce difficile. Un père qui n’a obtenu la garde de sa fille Agnès qu’un dimanche par mois et qui ne l’accepte pas, Wolfgang Horn (Rolf Becker), la fait appeler par un camarade durant la récréation, lui demandant de sortir rapidement après les cours pour qu’ils puissent passer du temps ensemble. La préadolescente se montre embarrassée. Néanmoins, le père l’attend bien comme il l’a annoncé et il lui demande de monter en voiture avec elle. La jeune fille est réticente, bien consciente que celui-là outrepasse délibérément les droits qui lui sont accordés. Il la pousse un peu brusquement dans le véhicule à la place du passager, s’enquérant de savoir si sa tête n’a pas heurté la carrosserie, tandis que la voiture de la mère se gare un peu plus loin dans la rue. Celle-ci se précipite aussitôt vers eux et extrait l’enfant de la voiture. Les deux adultes se querellent fortement, et chacun tente d’attirer la malheureuse, tiraillée sans ménagement de chaque côté, rappelant la situation du fameux Jugement de Salomon qui amenait le juge à proposer qu’on partage littéralement en deux l’enfant disputé par les deux parties. La scène est malheureusement d’une triste banalité avec ces ex-conjoints ne se supportant plus et réglant leurs comptes sans paraître se préoccuper réellement du mal qu’ils infligent à l’enfant, otage de leur affrontement et dont il n’est fait aucun cas du ressenti.





Un père annonce à sa fille Agnès (Heike Goosmann) qu'il va venir la chercher mais à l'heure de la sortie, la mère, Anita (Beatrice Norden), s'oppose vigoureusement à la violation des dispositions du jugement de divorce.

La situation empire encore puisque, excédé, Horn finit par frapper son ancienne femme, ce qui amène les témoins à intervenir, tandis que la mère et la fille s’en retournent à leur maison. Le lendemain, la femme téléphone à son ex-mari, lui fixant rendez-vous à son domicile vers 15 heures sans lui donner véritablement de motif. Elle a pour intention de le rappeler à ses obligations en présence de son avocat, probablement avec la menace d’entamer une action en justice en vue de le priver de ses derniers droits de père s’il ne se conforme pas à la décision du juge sur la garde qui lui a été accordée. Wolfgang Horn se rend à l’heure dite au domicile familial, entrant sans difficulté, la porte n’étant pas fermée. Il découvre dans le salon le corps de son ancienne épouse, étranglée. C’est alors que l’avocat de celle-ci arrive à son tour et est d’emblée convaincu que celui-là a tué son ancienne femme. Le suspect refuse de rester comme l’avocat lui demande tandis qu’il appelle la police, car il doit aller chercher sa fille. Il ramène celle-là à sa maison sans lui fournir réellement d’explication, la laissant aux bons soins de sa gouvernante, et il téléphone au domicile de son ex-femme pour dire à l’Inspecteur Derrick qui s’est rendu sur place qu’il va le rejoindre.




Horn découvre le corps sans vie de son ex-épouse et en avertit la sœur de la défunte.

L’inspecteur principal partage tout à fait l’avis de l’avocat de la défunte sur la responsabilité de Horn que tout paraît accuser ; il a fait acte de violence à l’encontre de sa femme la veille, et vient d’être trouvé seul en compagnie de son cadavre. Aussi, Derrick amène-t-il Horn au commissariat dans l’intention de le faire arrêter, le sommant d’avouer son crime. L’homme, impulsif, reconnaît ses torts mais refuse obstinément de confesser le meurtre, et le policier est convaincu que la tâche de le confondre définitivement sera difficile car s’il avouait un tel acte, il perdrait définitivement l’affection de sa fille.

Au domicile de la mère demeure seule la sœur aînée de la morte, Lena (Ursula Lingen), une sourde-muette qui consacre tout son temps à faire de la poterie. Elle vivait chez sa tante jusqu’à la mort de celle-ci puis l’épouse l’a fait venir au domicile familial en dépit de l’opposition frontale du mari. L’avis général s’accorde à lui prêter un caractère ombrageux, et il arrive qu’elle jette à terre avec furie certaines de ses poteries. Celle-là se souvient soudain qu’elle a vu entrer dans le jardin un homme peu de temps avant le crime et elle l’écrit sur une feuille de papier qu’elle tend à l’avocat venu s’enquérir de sa situation. Celui-là, persuadé de l’importance cruciale de ce témoignage en dépit de sa prévention contre l’ex-mari, la conduit immédiatement au commissariat de Munich mais à sa différence, Derrick et son adjoint ne semblent pas disposés à accueillir de bonne grâce cette information tant ils persistent à considérer Horn comme le parfait coupable. L’inspecteur principal demande malgré tout au dessinateur du service de réaliser un portrait-robot de l’homme que Lena a prétendu voir, grâce aux indications qu’elle délivre par le biais d’une interprète en langue de signes. La belle-sœur de Horn valide la représentation de l’individu et Derrick est forcé au vu de ces nouveaux éléments de mettre fin à la garde à vue du suspect.




L'inspecteur Derrick est plus que dubitatif lorsque l'avocat de la mère, le Docteur Voss (Romuald Pekny), lui montre le témoignage écrit de Lena qui affirme avoir aperçu un inconnu rôder peu avant le drame.

La fillette étant légalement héritière du domicile laissé par sa mère, et Horn étant toujours son père, celui-là revient habiter le domicile familial avec l’enfant. Il se montre reconnaissant avec sa belle-sœur revêche et sourde avec laquelle il ne s’entendait pas, bien conscient que seul son témoignage lui a permis d’être mis hors de cause en dépit des circonstances accablantes. Il se montre si attentionné qu’il lui achète de nouveaux matériaux et lui fait installer dans la cave un four lui permettant de faire cuire ses poteries. Elle excelle tant dans cette activité qu’un commerçant chez lequel Horn l’emmène la gratifie d’éloges et lui demande de lui vendre l’intégralité de sa future production.


Lena toute à sa passion pour la poterie.

La consécration de Lena, amenée par Horn chez un commerçant (Rudolf Schündler) qui se montre enthousiaste devant les échantillons de poterie créés dans son atelier artisanal. 

L’inspecteur Derrick est convaincu que Lena agit par intérêt, l’appui qu’elle apporte à son gendre devant lui éviter de devoir quitter la demeure et de se retrouver placée dans un établissement pour personnes atteintes d’un handicap. Même si son adjoint paraît peut-être un peu moins affirmatif, Derrick clame sa détermination à prouver la culpabilité de Horn, affirmant vouloir le cibler sans relâche jusqu’à obtenir sa confession, persuadé que l’homme dont le portrait a été dessiné d’après la description de Lena n’existe pas et qu’il n’a été inventé que pour couvrir le beau-frère.

Cette harmonie nouvelle entre Horn et Lena ancre Derrick dans sa conviction qu’ils sont liés par un pacte au moins tacite, au nom d’un intérêt mutuel ; il constate que la belle-sœur qui a trouvé sa place à la maison et est dorénavant proche de son gendre « paraît presque belle » tant son bonheur d’être enfin considérée l’a transformée. Cependant, la situation évolue soudainement lorsque le garagiste auquel l’ex-Madame Horn avait confié sa voiture demande à son mécanicien Mesmer (Thomas Braut) de raccompagner le suspect à son domicile. Lena qui l’aperçoit à nouveau depuis sa fenêtre en est effrayée. Derrick qui continuait de surveiller Horn fait à cette occasion la connaissance de l’ouvrier et se montre troublé. De retour à son bureau, il ressort le portrait-robot et commence à être gagné par l’idée que l’homme pourrait bien correspondre au suspect esquissé par Lena. Se rendant au garage, il obtient l’adresse de Mesmer et l’arrête. Acculé, celui-ci finit par reconnaître que lorsqu’il s’était rendu au domicile de l’ancienne épouse, il avait trouvé la porte ouverte et s’était laissé à fouiller le salon dans l’espoir de découvrir de l’argent « que les riches laissent traîner sans réaliser qu’il représente une provocation pour les pauvres », lorsqu’il fut surpris par la propriétaire outragée et qu’il ne trouva pas d’autre moyen pour qu’elle n’alerte pas les voisins par ses cris que de l’étrangler.

Le vrai coupable au commissariat, Mesmer, enfin identifié, interprété par Thomas Braut –qui incarnera un policier dans une sixième et dernière participation dans la série, Le congrès de Berlin (Ein Kongress in Berlin), l'acteur étant décédé en décembre 1979 à l'âge de 49 ans, bien qu'il soit apparu de manière posthume dans quelques productions télévisuelles diffusées en 1980.

L’inspecteur Derrick est ainsi implicitement amené à convenir qu’il s'est enferré dans son erreur en accusant obstinément Horn et en écartant d’emblée toute autre possibilité d’élucidation du crime, indéfectiblement convaincu par ce qui paraissait être une évidence inébranlable jusqu’à la révélation finale, l’identification du véritable coupable. Il n’en persiste pas moins à attribuer à Horn une motivation intéressée, celui-ci n’accordant selon lui de l’attention à sa belle-sœur que pour la protection qu’elle lui fournissait – on voyait il est vrai tantôt celui-ci lui intimant de ne surtout pas revenir sur son témoignage en sa faveur – jusqu’à ce que dans l'épilogue il manifeste en la retrouvant une complicité apparente. Le scénariste démontre ici à nouveau à quel point l'aspect psychologique est pour lui prédominant, renonçant délibérément à jouer sur le ressort du mystère policier puisque nous permettant d'assister en même temps que Lena à l'arrivée de l'inconnu dans la propriété dès la mise en place de l'intrigue, de sorte nous savons dès lors à la différence des policiers que son témoignage est fiable. Cet épisode est néanmoins rendu captivant par la justesse des interprétations, notamment celle d'Ursula Lingen dont la figure domine toute l’histoire qui démontre comment des circonstances particulières sont susceptibles d’amener deux personnes qui ne s’appréciaient pas à trouver un terrain d’entente et à établir des rapports apaisés et bienveillants entre eux, dénotant avec le ton ordinairement plutôt sombre de la série, comme dans un épisode précédent, L'embuscade, qui voyait à l'issue d'échanges très acides entre une doctoresse victime d'une tentative d'assassinat et son neveu qui se méprisaient advenir une véritable réconciliation.


Une réconciliation appelée à se prolonger.

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samedi 14 janvier 2023

UNE ENTRÉE EN MATIÈRE DIRECTE : LE CHEMIN À TRAVERS BOIS



Il y a deux ans a été créé le seul blog français principalement consacré à la série allemande Inspecteur Derrick, visant à pallier à son invisibilité sur les chaînes télévisées de manière à permettre d'en faire découvrir certains aspects à ceux qui ne la connaissent que peu et à en prolonger son univers pour ceux qui en ont déjà visionné tous les épisodes et qui pourraient trouver plaisir à s' y plonger de nouveau par ce biais, en complément du site des Avengers qui rend compte de la série notamment en en détaillant tous les épisodes (voir adresse dans les sites référencés à droite). Après l'introduction relative à la création du blog, il a été ici procédé à une présentation générale de la série, de la raison ayant mené à sa déprogrammation, de ses créateurs, de ses interprètes principaux en attendant une future série sur ses acteurs occasionnels les plus éminents, du caractère solitaire du personnage principal et du point de vue du spectateur relativement aux enquêtes au travers d'une comparaison avec la série américaine concurrente Columbo, précédant d'autres évocations croisées des deux programmes à venir. Il est temps à présent d'augurer une nouvelle série, qui va examiner plusieurs dizaines d'épisodes particulièrement marquants qui confèrent toute sa singularité à la création fameuse d'Herbert Reinecker, et que l'on va initier par le premier épisode qui fut proposé aux téléspectateurs. 

AVERTISSEMENT : En raison de l'évocation relativement détaillée de l'intrigue de ces épisodes plus particulièrement notables, mettant notamment au premier plan les enjeux dramatiques et la psychologie des personnages sans occulter le retournement final, il est conseillé au lecteur qui souhaiterait les visionner en ligne ou sous forme des DVD édités par la Société Elephant Films de ne prendre connaissance de l'article se rapportant à chacun d'entre eux que postérieurement s'il souhaite que ne lui soient pas dévoilés préalablement tous les ressorts de l'histoire. Naturellement, il lui sera possible de faire ensuite part de ses propres impressions en postant son commentaire sous l'article traitant de l'épisode.


    Le premier épisode de la série diffusé le 20 octobre 1974 en Allemagne, Le chemin à travers bois (Waldweg) introduit directement le spectateur dans l’univers d’Inspecteur Derrick sans fioritures, le prenant à témoin d’une situation banale qui bascule dans un crime horrifiant. On suit d’abord le retour d’une jeune étudiante depuis la ville, Ellen Theiss (Gabriele Lorenz), qui a la mauvaise surprise de découvrir son vélo hors d’usage. L’employé de la gare requiert le prêt de sa pompe au kiosquier qui s’apprête à fermer mais celui-ci ne désire pas l’aider, prétendant fallacieusement ne plus en disposer. Afin de raccourcir son trajet jusqu’au pensionnat, la jeune fille décide alors de traverser le bois plongé dans l’obscurité. La tension dramatique monte, car on la devine vulnérable et c’est à ce moment qu’un homme l’arrête. Celui-là n’est autre que l’un de ses professeurs, Rudolf Manger (Wolfgang Kieling), qui habite à proximité et propose pour sa sécurité de la raccompagner en faisant preuve d’une bienveillance réconfortante et paternelle. Se trouvant tout près de sa demeure, l’enseignant insiste pour offrir une boisson à son élève, mais l’angoisse ressurgit brusquement lorsqu’il ferme la porte à clé et que son visage doux se durcit soudain. Réalisant ce qu’il est en train de se passer, la mère du professeur se met à lui ordonner de lui ouvrir en tambourinant sur la porte, tandis qu’il fond sur la jeune fille terrorisée et l’étrangle dans une séquence éprouvante.

Un retour tardif en train.

Cheminant seule dans le bois, Ellen est rassurée lorsqu'elle réalise que l'homme qui marche non loin dans l'obscurité n'est autre que son sympathique professeur, Monsieur Manger, qui lui propose pour sa sécurité de la raccompagner.


Invitée à prendre un verre au domicile de Manger, la situation prend une tournure inquiétante lorsque l'enseignant ferme à clé la porte du salon.


La jeune fille incarnée par Gabriele Lorenz devient la première victime de la série lorsque Manger entreprend sauvagement de l'étrangler.

    Le visage consterné de l’Inspecteur Derrick penché sur le cadavre découvert près d’un ruisseau sous des arbustes est la première vision qui est proposée au téléspectateur du policier, sans un mot, sans une introduction, nous le découvrons d’emblée saisi dans le plus glaçant de son activité professionnelle, son personnage n’existant que pour nous révéler sa charge et ce qu’elle amène à dévoiler de la nature humaine. Nous n’apprenons officiellement son nom que lorsque son adjoint le présente auprès de possibles témoins ; ce dernier n’est pas davantage présenté.


Des policiers qui sont introduits auprès du spectateur au travers de leur réaction horrifiée face à un crime odieux.

    Un premier meurtre similaire s’étant produit six mois plus tôt au même endroit et dans les mêmes circonstances, l’Inspecteur Derrick est convaincu qu’il existe une forte probabilité que ces deux crimes paraissant incriminer un même auteur ne soient pas le fait d’un quelconque rôdeur, mais de quelqu’un habitant dans les environs, et peut-être même de très bien renseigné sur l’itinéraire des victimes. Le policier enquête donc au sein de l’internat et en découvre les secrets, notamment que derrière l’apparente rigueur exigée par la directrice et les robes sages des pensionnaires se cache une certaine licence morale, et que non seulement un des enseignants, Dackman (Herbert Bötticher), se montre très proche des jeunes filles lors de sorties extrascolaires comme à la piscine, mais on apprend même qu'il entretient très certainement des relations sexuelles avec certaines d’entre elles à peine majeures. Il revendique sans fausse pudeur cette absence d’inhibition concordant avec celle d’élèves dont ses collègues ont noté le caractère parfois déluré à la limite de la provocation, lui permettant de se disculper des assassinats en faisant valoir auprès de Derrick qu’il n’avait aucune raison de s’en prendre à elles étant donné qu’elles lui accordent tout ce qu’il peut en souhaiter (un argument qui sera aussi utilisé par l'impresario du chanteur suspecté de meurtre dans l'épisode Mort d'un fan).

Stefan Derrick et son adjoint s'enquièrent auprès de la directrice, le Dr Göbel (Hilde Weissner), du fonctionnement d'un établissement moins bien tenu qu'il le semble et acquièrent la certitude que le meurtrier se trouve parmi ses membres.

Derrick apprend qu'un seul enseignant, Dackman, était apparemment informé qu'Ellen avait quitté la pension pour aller au cinéma à Munich, voir "un navet avec Alain Delon", le jour où on l'a tuée.

Dackman ne se fixe aucune limite à sa proximité avec les lycéennes, mais se défend vigoureusement de toute velléité d'agression à leur encontre.

    Quelques indices mettent le policier sur la trace de Manger d’autant qu’il est intrigué par l’attitude de la mère qu'interprète Lina Carstens, laquelle paraît réticente à répondre à ses questions après avoir fustigé la légèreté du comportement des jeunes filles de la pension, et dont il pressent qu’elle garde un secret qui lui pèse.

Mme Manger se désole de la désinvolture des pensionnaires s'exposant parfois en tenue légère à la belle saison.

Lorsque l'inspecteur Derrick revient la voir sans la présence de son fils, celle-là se montre mutique - à noter que dans la version courte de l'épisode, le policier ne rencontre jamais la mère avant l'épilogue.

    Les faits sont sur le point de se reproduire. Bien que la meilleure amie d'Ellen, Inge Behrwald (Ingrid Cannonier), se sente coupable de la mort de son amie pour avoir couvert son absence, l’Inspecteur s’appliquant à la réconforter, elle n'en prévoit pas moins de passer elle aussi une journée en ville et de rentrer tard discrètement, grâce à une fenêtre laissée entrouverte. 

Manger assume sa fonction de professeur bienveillant auprès des pensionnaires bouleversées par l'assassinat de leur camarade.

Derrick essaie de rasséréner la meilleure amie d'Ellen qui se sent coupable de sa mort.

    Comme la fois précédente, un pneu de sa bicyclette rangée sur le côté de la gare a été crevé à dessein et le retour solitaire nocturne au travers du bois semble s’imposer lorsque Manger fait son apparition, apparemment secourable – lequel est aussi l’une des rares personnes qui connaissaient son projet. Il amène à nouveau la jeune file dans sa demeure et l’on pressent qu’elle va connaître à son tour un sort funeste, lorsque Manger, s'étonnant du silence de sa mère, ouvre la porte de la pièce voisine pour se trouver face à la mine sévère de l’Inspecteur.




La tragédie semble se reproduire à l'identique jusqu'à l'apparition soudaine de l'inspecteur principal ; l'auteur de traquenards a été piégé à son tour.

    Celui-là révèle alors au criminel qu’il a été piégé, que son adjoint l’a suivi en permanence pendant qu’il cheminait avec la jeune fille dans le bois, prêt à intervenir à tout moment en cas de nécessité, tandis que lui-même se rendait à sa maison, ordonnant à la mère de rester silencieuse, afin de pouvoir prendre sur le fait le coupable.

    Cet épisode initial est donc sans temps mort et riche en émotions, avec au début l’arrivée faussement rassurante de Rudolf Manger allant au-devant de son étudiante en péril, suivie de ce meurtre sauvage auquel nous sommes confrontés lorsqu’il révèle ses intentions et passe à l’action (séquence raccourcie de vingt secondes dans la version allemande pour ménager le spectateur – on verra dans l’hommage à Wilfried Baasner que certains politiciens comme Angela Merkel dénonçaient à l’époque une trop grande violence à la télévision allemande), puis le coup de théâtre final qui révèle le stratagème de Derrick qui a poussé au crime le tueur pour pouvoir le démasquer.

    Wolfgang Kieling compose un personnage marquant, passant du professeur ordinaire, plutôt sympathique, au violeur et assassin impitoyable. La manière dont lors de la première agression figurée à l’écran, alors qu’un ralenti le montre s’approchant de sa victime, les traits son visage se figent soudain pour en laisser transparaître toute la brutalité latente, évoque les films de loups-garous des années 1940 et 1950 dans lesquels un cadrage serré et l’utilisation d’effets de maquillage convoquaient la bête féroce en l’homme, comme en 1943 dans Frankenstein rencontre le Loup-Garou (Frankenstein Meets The Wolfman) dans lequel le célèbre maquilleur Jack Pierce faisait transparaître la nature lycanthropique du personnage incarné par Lon Chaney Jr par une utilisation adroite de la lumière et des contrastes que permettait la photographie noir et blanc révélant alternativement différentes couleurs de fond de teint, comme avant lui Wally Westmore en 1931 pour Frederic March dans le double rôle-titre de la première version parlante de Dr Jekyll and Mr Hyde. Cette transformation à vue de Manger s’accompagne d’ailleurs d’un morceau de musique très violent qu’il diffuse avec un très haut volume sonore sous le prétexte cynique de passer « une musique que vous adorez », dans le dessein de couvrir les cris de terreur de sa proie, celle-là semblant annoncer la scène de métamorphose du Loup-garou de Londres (American Werewolf in London) de 1981 dans laquelle le visage distordu du personnage principal renvoie à la violence du morceau de rock déchaîné l’accompagnant – même si concernant le long métrage d’épouvante, une utilisation d’une véritable musique de film aurait sans doute rendu la scène plus effrayante encore.




Manger affiche brusquement une expression effrayante.


Au temps du cinéma en noir et blanc, on utilisait des éclairages colorés pour révéler successivement des couches de maquillage superposées de différentes teintes de manière à faire ressortir des traits inquiétants comme dans la version de Dr Jekyll et Mister Hyde de 1931 (en haut) et dans Sh ! Octopus en 1937 (photos du dessous), un procédé dont ne bénéficient plus leurs successeurs qui doivent compter sur leur seule expressivité pour transcrire à l'écran le changement de personnalité de leur personnage.

    À travers la microsociété que représente le lycée pour jeunes filles, le scénariste Herbert Reinecker instaure dès le premier épisode proposé aux téléspectateurs (c’est en réalité Le bus de minuit qui fut tourné en premier) une réflexion sur le contexte sociétal de notre époque au travers du dualisme entre Dackman et Manger, mettant en évidence la tension qui se crée entre des jeunes files émancipées qui suscitent le désir et s’y adonnent et des hommes plus réservés endurant mal un refoulement des pulsions (l'assassin d'allure réservée prétend d’ailleurs aimer lui aussi la chanson très bruyante selon lui prisée de la jeunesse qu’il diffuse au moment de son crime), qu’engendrent les contradictions de la société moderne, situation qu’on retrouvera notamment dans un autre excellent épisode, Un objet de désir, sur lequel on aura naturellement l’occasion de revenir.

Une pension de jeunes filles dans laquelle ne règne la discipline qu'en apparence, dissimulant une expression irréfrénée du désir charnel - comme s'en désole aussi, en connaissance de cause, la mère de Rudolf Manger.

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