mercredi 29 décembre 2021

L'AUTRE DUO DE DERRICK, première partie


Le producteur Helmut Ringelmann (à gauche) et le scénariste Herbert Reinecker.  

        Lorsqu'on songe à la série Inspecteur Derrick, l'image du policier un peu guindé, sur son quant-à-soi mais non dépourvu d'autorité, et de son adjoint plus petit vient immédiatement à l'esprit. Un autre duo est tout aussi important, sans lequel le programme n'aurait sans doute jamais existé, celui constitué par le producteur Helmut Ringelmann et le scénariste Herbert Reinecker qui a créé les personnages et écrit le scénario de tous les épisodes, ce qui est peut-être unique, à fortiori pour un aussi grand nombre de saisons.


                 LE JEUNE SCENARISTE FANATISE ET               LE PRODUCTEUR AUX IDEAUX PACIFISTES

          Fils d'un chef d'orchestre dans la compagnie nationale de chemins de fer, Herbert Reinecker entre dès l'âge de 15 ans comme pigiste et auteur d'articles dans le journal "Hagener Zeitung" après la publication de sa première nouvelle, puis devient rédacteur en chef du magazine institutionnel pour la jeunesse "Our Flag" à Münster. Né le 24 décembre 1914 à Hagen, année de la Première Guerre mondiale qu'il n'a pas eu réellement à connaître en raison de son âge, il n'en est pas moins attiré par le mouvement d'Adolf Hitler qui a fédéré d'anciens combattants revanchards et avant ses dix-huit ans, il devient membre de la Jeunesse hitlérienne en 1932. Bien que le chef du Parti nazi accède au pouvoir l'année suivante à la faveur de la crise économique, Herbert Reinecker ne prendra sa carte au NSDAP qu'en 1943, lorsque le régime dictatorial bascule définitivement vers une défaite programmée après le tournant de la guerre de 1942. 


              Un jeune écrivain exalté au patriotisme dévoyé

            A l'âge de vingt ans, et pour cinq années, il est rédacteur en chef d'un mensuel berlinois d'endoctrinement de la jeunesse. Il se montre créatif dans bien des domaines, écrivant des nouvelles, des romans comme L'Homme au violon, adapté au cinéma avec succès (dont le metteur en scène Paul Verhoeven tiendra en 1965 le premier rôle dans un film critique envers le nazisme, Bernhard Lichtenberg, produit par Helmut Ringelmann) et des pièces de théâtre comme Le village près d'Odessa, que lui a inspiré son expérience comme correspondant de guerre des Waffen SS sur le front de l'Est avant d'être affecté en Flandre et en Normandie. L'Heure du triomphe (Die Stunde des Triumphes) est un hymne à l'indépendance irlandaise - on sait que par hostilité à l'Angleterre, certains indépendantistes irlandais s'étaient rapprochés des Nazis, prêts à coopérer contre l'ennemi commun. Le ministre de la propagande Joseph Goebbels se montrant très satisfait par l'adaptation cinématographique de L'Homme au violon, un producteur souhaite le voir apporter une contribution plus directe au grand écran et, afin de l'initier à l'écriture de scénarios, il l'envoie suivre une formation de deux semaines au Studio Tobis. Reinecker se persuade de servir son pays jusqu'à la chute définitive du régime, sans paraître réaliser que celui-ci est tombé du mauvais côté, signant encore le 5 avril 1945 un éditorial dans le journal de la SS, "Junge Welt", incitant les jeunes à demeurer fidèles au Führer qui allait mettre fin à ses jours le trentième jour du même mois. 


Représentation en février 1943 de la pièce de théâtre Le Village près d'Odessa (Das Dorf bei Odessa), dans laquelle une petite communauté villageoise triomphe de la menace d'anéantissement par les Soviétiques, avec l'aide et le sacrifice de deux soldats allemands. La pièce a été interdite après 1945.


Le roman L'homme au violon (Der Mann mit der Geige), écrit en 1939 à la demande d'un éditeur berlinois, qui se déroule à la fin de la Première Guerre mondiale, et son adaptation cinématographique par Paul Verhoeven en 1942 sous le titre Der Fall Rainer (traduit en anglais sous le titre The Rainer Case).





Dans Les Aiglons (Junge Adler) d'Alfred Weidenmann, un adolescent en échec scolaire s'avère ravi que son père lui ait fait découvrir la camaraderie en l'ayant inscrit dans un club d'aviation, un film de propagande implicite exaltant l'adhésion totale à un groupe, salué par le ministre de la propagande Joseph Goebbels en dépit de son échec auprès du public.

        Il  entame alors une vie d'errance, caché dans des fermes. Il connaît trois années de dépression, une remise en cause radicale alors que rien ne l'a préparé à passer brutalement de son adhésion inconditionnelle au régime déchu au monde qui lui a succédé et qui s'efforce de se reconstruire en vouant aux gémonies les dirigeants qui ont amené au chaos. Il tente finalement de vivre de nouveau de sa plume en usant de différents pseudonymes mais sans succès et faute de pouvoir être employé devient un temps reporter indépendant. Sa force de travail lui permet de reprendre progressivement sa carrière, écrivant des textes pour un cabaret à Cologne en 1947, puis en 1951 des pièces radiophoniques à Hambourg toujours sous un faux nom. 


                Retour en grâce d'après guerre

            Son collègue Alfred Weidenmann, cinéaste avec lequel il avait travaillé durant le nazisme sur des œuvres de propagande, lui permet de revenir dans l'audiovisuel en 1951. La consécration lui est accordée avec son scénario idéalisant l'amiral antinazi Wilhelm Canaris pour le long-métrage éponyme de 1954 - leur film de 1957 rendant hommage au pilote de guerre d'élite allemand décoré par le Troisième Reich Hans-Joachim Marseille, L'inutile sacrifice (Der Stern von Afrika), est plus ambigu en dépit de certaines phrases sur l'absurdité de la guerre, d'autant qu'une première version du script aurait entériné la manipulation hitlérienne de l'agression polonaise lui ayant servi de prétexte pour l'entrée en guerre. 

Herbert Reinecker (à droite) en 1955 avec son ami Alfred Weidenmann recevant un prix cinématographique fédéral, un partenaire de longue date qui réalisera trente épisodes d'Inspecteur Derrick et qui lui a offert la possibilité d'une pleine renaissance dans le monde audiovisuel.

Une affiche du film L'Amiral Canaris (Canaris) réalisé en 1954 par Alfred Weidenmann sur un scénario d'Herbert Reinecker avec O.E. Hasse dans le rôle-titre, celui du chef du renseignement nazi qui fut exécuté pour avoir pris part au complot de Von Stauffenberg visant à assassiner Adolf Hitler.





Herbert Reinecker écrit aussi en 1954 le roman Kinder, Mütter and ein General, qui sera traduit en français sous le titre Les Loups-garous, et adapté au cinéma l'année suivante par László Benedek sous le même titre original traduit littéralement en français par Des enfants, des mères et un général, film allemand qui obtint une consécration internationale et auquel on décerna notamment le Golden Globe du meilleur film étranger, témoignant là aussi d'une vision désormais critique du nazisme par son ancien propagandiste zélé (de haut en bas, le roman sorti avec une photo de l'adaptation cinématographique en couverture, une affiche du film, une photo d'exploitation en couleur mettant en valeur la jeunesse de certains combattants au désespoir des mères, et le jeune acteur Klaus Kinski interprétant un lieutenant particulièrement fanatisé).



Un film à l'antimilitarisme assez peu explicite sur un véritable pilote de la Luftwaffe, incarné par Joachim Hansen, L'inutile sacrifice d'Alfred Weidermann en 1957, dénotant avec l'antinazisme des œuvres précédentes évoquées.

Parenthèse plus légère et plutôt immorale sur les jeux de la séduction en 1963 avec Le Grand Jeu de l'amour (Das große Liebesspiel) d'Alfred Weidenmann, une adaptation par Herbert Reinecker de la pièce de théâtre licencieuse de l'Autrichien Arthur Schnitzler, La Ronde (Reigen), dans laquelle apparaît notamment l'actrice bien connue Alexandra Stewart (photo).

        Dorénavant critique des systèmes dictatoriaux, Reinecker écrit une pièce filmée pour la seconde chaîne en 1964, la ZDF, Nachtzug D 106 d'Helmuth Ashley se rapportant au nouveau régime qui gouverne une partie de l'Allemagne, la République démocratique allemande (RDA) qui va jusqu'à faire abattre du haut des miradors ceux, humains comme animaux, qui tentent de gagner la Zone libre de Berlin Ouest, pour retrouver leur famille ou prétendre à la liberté. L'histoire évoque la manière dont chaque voyageur va réagir confronté à un fugitif désireux d'échapper à la police communiste. 

Les passagers d'un train sont confrontés à un voyageur clandestin désireux de quitter l'Allemagne de l'Est dans Nachtzug D 106 en 1964.

Les passagers du train D 106 sont bien embarrassés pour déterminer quelle conduite tenir face à l'homme qui sollicite leur aide alors qu'ils se trouvent toujours placés sous la menace des autorités communistes, une thématique de la responsabilité que Reinecker explorera largement dans Inspecteur Derrick. Un certain nombre de futurs acteurs de la série peuvent être vus dans cette pièce télévisée, Martin Benrath (à gauche sur la photo du haut), Walter Schwarzkopf (au milieu sur la deuxième photo) et Anaid Iplicjian (les deux photos suivantes), discutant avec son interlocutrice interprétée par Barbara Frey qui fera une toute petite apparition comme infirmière dans l'adaptation cinématographique du roman Abattoir V (Slaughterhouse V) de Kurt Vonnegut, qui évoque le criminel bombardement apocalyptique de la ville de Dresde par l'armée américaine, illustration là aussi que la barbarie n'est le monopole d'aucun camp.

        Outre d'autres scénarios plus légers se rapportant à des aventures sentimentales comme Le Ciel n'est jamais complet (Der Himmel ist nie ausverkauft) réalisé en 1955 par Alfred Weidermann et la comédie Kitty, une sacrée conférence (Kitty und die Große Welt) du même réalisateur l'année suivante avec Romy Schneider en vedette et Ernest Schröder, Herbert Reinecker livre aussi des adaptations des romans policiers anglais écrits par Edgar Wallace et dirigées par Alfred Vohrer tels Le défi du Maltais (Der Hexer) réalisé en 1964 dans lequel un maître du déguisement surnommé le Sorcier pousse les criminels à se suicider, La Main de l'épouvante (Die blaue Hand) en 1967 et Le château des chiens hurlants (Der Hund von Blackwood Castle) en 1968 dans lequel apparaît Horst Tappert.

  Ambiance de mystère dans Le Maltais (Der Hexer).



La future vedette d'Inspecteur Derrick, Horst Tappert, dans le rôle d'un malfaiteur dans Le Château des chiens hurlants (Der Hund von Blackwood Castle) d'Alfred Vohrer en 1968, d'après une adaptation d'un roman d'Edgar Wallace par Herbert Reinecker.

        Il a également écrit trois westerns (Der letzte Ritt nach Santa Cruz/The Last Ride to Santa Cruz en 1963, Alla Conquista dell'Arkansas/Massacre at Marble City en 1964 et Winnetou un Shatterhand im Tal der TotenThe Man with the Long Gun en 1968).


Deux images tirées de westerns imaginés par Herbert Reinecker, Der letzte Ritt nach Santa Cruz/The Last Ride to Santa Cruz réalisé par Rolf Olsen en 1963, un des deux films allemands qui ont lancé la carrière de Klaus Kinski (à gauche sur la photo du haut), lui permettant d'être repéré par le cinéaste italien Sergio Leone ; en dessous, les deux principaux protagonistes interprétés par Lex Baxter et Pierre Brice incarnant l'Apache du rôle-titre de Winnetou un Shatterhand im Tal der TotenThe Man with the Long Gun réalisé en 1968 par Harald Reinl, d'après l'oeuvre de Karl May.


       De Kubrick à Derrick

     Alors que la jeunesse de Reinecker a été marquée par l'adhésion inconditionnelle au nazisme, la carrière d'Helmut Ringelmann est au contraire empreinte de pacifisme. Après avoir achevé ses études secondaires en 1946 au Lycée de Francfort-le-Maine, il y suit des cours de théâtre et y a parmi ses professeurs l'acteur Siegfried Lowitz qu'il engagera pour deux épisodes marquants d'Inspecteur Derrick, en 1974 puis en 1988, et dont il fera la vedette des cent premiers épisodes d'une autre série policière, Le Renard (Die Alte) de 1977 à 1985.



Devenu un producteur consacré, Helmut Ringelmann retrouve un professeur de sa prime jeunesse, Siegfried Lowitz, qu'il engage d'abord pour un des premiers épisodes d'Inspecteur Derrick, le troisième, La fête, avant d'en faire le héros de sa série Le Renard, le Commissaire Köstler. La voix française de ce personnage était assurée par l'acteur français Jacques Dynam au gabarit comparable, un partenaire régulier de Louis de Funès dans de célèbres comédies, notamment Le Grand Restaurant et la trilogie des Fantomas.

        Helmut Ringelmann monte en 1947 sur les planches à Berlin dans le rôle d'un officier de l'armée de l'air, le Lieutenant Writzky, pour l'adaptation du Général du Diable (Des Teufels General) de Carl Zuckmayer. L'auteur, également très proche de l'acteur Hans Rühmann qui tournera avec Fernandel pour Jean-Pierre Mocky, était ami d'Ernst Udet, un vétéran de l'armée de l'air de la Première Guerre mondiale promu responsable de l'aviation du Troisième Reich et qui se serait suicidé dans son appartement après l'échec du Blitzkrieg sur le front de l'Est, mais dont la mort a été attribuée à un accident lors d'un vol expérimental par le régime qui lui a accordé des funérailles nationales. L'homme avait confié à Zuckmayer son peu d'enthousiasme pour le pouvoir hitlérien, et le dramaturge a décidé d'en faire le héros tragique d'une pièce antinazie se passant en 1941 en créant son personnage de Général Harras, écrite lors de son exil aux Etats-Unis et jouée en Allemagne après la chute du régime.

Le metteur en scène de théâtre Hans Hilpert (à gauche), directeur de la pièce Le Général du Diable (Des Teufels General) avec l'auteur Carl Zuckmayer qui avait fuit l'Allemagne nazie en 1938, posant après la représentation de la pièce en 1947 dans laquelle Helmut Ringelmann est apparu pour une unique fois devant un public dans le rôle du lieutenant de l'armée de l'air Writzky.


La pièce Le Général du Diable est portée au cinéma en 1954 par Helmut Käutner avec Curd Jürgens dans le rôle principal.

       Le jeune Ringelmann préfère ne pas donner suite à l'expérience sur les planches et devenir plutôt l'assistant d'Hans Hilpert, qu'il suit à Constance puis Göttingen. Au milieu des années 1950, Helmut Ringelmann devient directeur de production pour le cinéma et est à ce titre régisseur dans les Studios Bavaria à Munich sur des films internationaux ambitieux qui y sont tournés avec Kirk Douglas en vedette, Les Vikings de Richard Fleischer et Les Sentiers de la gloire de Stanley Kubrick, un manifeste pacifiste en dépit de sa sobriété qui rend compte de la tragédie de soldats français des tranchées de la Première Guerre mondiale fusillés pour l'exemple par une hiérarchie aux abois personnifiée par l'acteur George MacReady, et qui fait exécuter sans enthousiasme mais aussi sans scrupules les ordres inhumains de ses supérieurs.



Les Sentiers de la gloire (Paths of Glory) en 1957 : des gradés décident bien à l'abri du destin des soldats (Georges McReady à droite sur la photo du haut) mais ce sont leurs subordonnées sur le terrain (Kirk Douglas au centre) qui ont à appliquer leurs décisions inhumaines.

Tournage en 1957 des Sentiers de la gloire de Kubrick (au premier plan) dont Helmut Ringelmann était l'assistant.

Helmut Ringelmann était également présent sur le tournage des Vikings (The Vikings) de Richard Fleischer en 1958, basé sur le roman The Viking d'Edison Marshall.

Autre photo de tournage en extérieur des Vikings, en France au Fort La Latte, avec les deux vedettes prêtes au duel, Kirk Douglas et Tony Curtis ; à l'extrême gauche, on reconnait le directeur de la photographie Jack Cardiff, qui exerça cette fonction sur d'autres films de Richard Fleischer comme Conan le Destructeur (Conan the Destroyer) et Amityville III, et il réalisa lui-même un autre film mettant en scène des Vikings, Les Drakkars (The Long Ships) en 1964, ainsi qu'un film de science-fiction et d'épouvante avec en vedette Donald Pleasance, Mutations (le lecteur intéressé par Jack Cardiff peut lire un petit hommage partiel à cette adresse : https://creatures-imagination.blogspot.com/2009/05/disparition-de-jack-cardiff.html).

    En 1965, Helmut Ringelmann produit le film Bernhard Lichtenberg réalisé par Peter Beauvais, consacré au personnage historique éponyme, un prêtre catholique allemand qui attirait dans ses sermons l'attention de ses paroissiens sur les persécutions que le régime nazi infligeait aux Juifs, qui fut arrêté et torturé par les SS en 1941 et décéda en 1943 lors de son transfert au camp de concentration de Dachau. Il sera béatifié en 1996 par le Pape Jean-Paul II et son nom figure parmi les Justes au Mémorial des victimes de l'Holocauste à Jérusalem. Il est interprété par Paul Verhoeven (homonyme du réalisateur d'origine hollandaise de Robocop et de Total Recall) qui avait sous le Troisième Reich porté à l'écran L'Homme au violon tiré du roman d'Herbert Reinecker. 


Un héros tragique, le Père Bernhard Lichtenberg honoré à l'écran dans le film de Peter Beauvais produit par Helmut Ringelmann en 1965, incarné par Paul Verhoeven, qui avait en 1935 protesté auprès d'Hermann Göring contre les camps de concentration et qui fut victime des Nazis malgré le soutien du Pape Pie XII. Ancien élu du parti catholique Zentrum, il avait avant même l'arrivée au pouvoir d'Hitler déchaîné le courroux du futur ministre de la propagande du Troisième Reich Joseph Goebbels pour avoir soutenu le film pacifiste américain alors interdit en Allemagne, A l'Ouest, rien de nouveau (All Quiet on the Western Front) de Lewis Milestone sorti en 1930, vision désabusée de la 1ère Guerre mondiale qui préfigure Les sentiers de la gloire en 1957 dont Ringelmann fit partie de la production, et dont la vision d'une jeunesse endoctrinée et sacrifiée au combat guerrier se retrouvera aussi dans le roman d'Herbert Reinecker de 1954 Kinder, Mütter and ein General porté au cinéma en 1955, se déroulant quant à lui durant la Seconde Guerre mondiale. A l'Ouest, rien de nouveau est l'adaptation du roman paru l'année précédente d'Erich Maria Remarque, un auteur dont Ringelmann produit l'adaptation du roman La nuit de Lisbonne en 1971.

L'avocat de Bernhard Lichtenberg découvre que défendre le prêtre contestataire assigné devant la justice nazie n'est pas sans risques. Le rôle est dévolu à Paul Edwin Roth, qui incarnait un soldat dans le film Des enfants, des mères et un général, une œuvre critique envers le nazisme d'Herbert Reinecker ; l'acteur a notamment incarné John Watson dans six épisodes d'une série allemande consacrée à Sherlock Holmes, il est à l'affiche avec Horst Tappert dans Die Gentlemen bitten zur Kasse retranscrivant la célèbre attaque du train postal Glasgow-Londres et figurera dans les séries Der Kommissar, Tatort, Le Renard et La clinique de la Forêt noire.

     La distribution de Bernhard Lichtenberg inclut aussi deux futurs acteurs d'Inspecteur Derrick, Klausjürgen Wussow dans le rôle du SS Lang, principal persécuteur du prélat, lequel deviendra une vedette de la télévision allemande dans le rôle principal du médecin de la série La clinique de la forêt noire (Die Schwarzwaldklinik) durant quatre ans, et Gert Haucke qui incarne un professeur.


Le SS Lang sous les traits de Klausjürgen Wussow s'est juré de réduire l'ecclésiastique au silence bien que le Père Lichtenberg ne paraisse pas disposé à se laisser fléchir.

  Helmut Ringelmann se tourne néanmoins principalement dans les années 1960 vers la télévision et il fondera plusieurs sociétés de production, à commencer le 18 août 1967 par la Neue Münchner Fernsehproduktion dans la banlieue Sud de Münich. Il donne leur chance à de nombreux metteurs en scène et acteurs qui avaient été présentés comme démodés par la nouvelle vague prônée par le Manifeste d'Oberhausen du 28 février 1962.  Il poursuit à nouveau la tradition pacifiste portée par le film de Kubrick, longtemps interdit en France, au travers de deux projets pour la télévision traitant de réfugiés contraints de fuir la dictature nazie, Die Mission de Ludwig Cremer en 1967, qui évoque la conférence d'Evian-les-Bains de 1938 lorsque le régime nazi avait proposé aux Etats-Unis de verser de l'argent en échange des Juifs indésirables pour leur permettre d'échapper à un sort qui s'annonçait de plus en plus funeste, et Die Nacht von Lissabon en 1971 de Zbynek Brynych produit avec la chaîne ZDF avec laquelle Reinecker allait souvent collaborer, d'après le roman La nuit de Lisbonne d'Erich Maria Remarque qui traite de l'exil de fugitifs s'efforçant d'échapper au IIIème Reich. L'acteur Martin Benrath déjà évoqué fait partie de la distribution des deux téléfilms, et Vadim Glowna ainsi qu'Horst Frank qui figurent aussi dans le premier, de même que Karl Walter Diess et Ulrich Haupt de Die Mission, apparaîtront eux aussi dans des épisodes d'Inspecteur Derrick.






Die Nacht von Lissabon, production télévisuelle d'Helmut Ringelmann avec la terreur nazie personnifiée par Horst Frank, déjà apparu dans L'inutile sacrifice (acteur bien connu des téléspectateurs français pour son rôle dans Les Tontons flingueurs de Georges Lautner), dans laquelle figurent aussi Martin Benrath (au milieu) et Vadim Glowna (en bas) qui fit notamment une carrière de réalisateur. Le réalisateur d'origine tchécoslovaque Zybnek Brynych, paraît-il réel espion au profit du régime communiste et délateur de ses compatriotes exilés, réalisera 37 épisodes d'Inspecteur Derrick, ce qui n'est pas le record puisque Theodor Grädler en tournera pas moins de 61, talonné d'assez près par Helmuth Ashley qui en a 46 à son actif ; l'acteur et réalisateur Jürgen Goslar en dirigera onze, exactement comme Horst Tappert. 

     Ainsi, tandis que le scénariste Herbert Reinecker a finalement rompu avec ses engagements de jeunesse et conçu des œuvres portant un regard critique sur l'aventure nazie, le producteur Helmut Ringelmann s'est impliqué durablement dans des productions évoquant les tragédies du IIIème Reich, ces deux figures de l'audiovisuel contribuant à proposer au peuple allemand une réflexion sur le passé de son pays.

        Dans les années 1960, Helmut Ringelmann est devenu à son tour une figure essentielle de l'audiovisuel allemand. Il était assez logique qu'il finisse par croiser le chemin du prolifique scénariste Herbert Reinecker, et la télévision au travers de la Chaîne ZDF allait fournir le terrain propice à cette rencontre prometteuse.

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 Seconde partie dans le prochain article : Une collaboration fructueuse


mercredi 1 septembre 2021

UN POLICIER TOTALEMENT VOUE A SA MISSION

 

L'Inspecteur Derrick a toujours l'esprit occupé par ses enquêtes, son désir de rétablir la justice prenant chez lui l'allure d'un véritable sacerdoce, en faisant presque une sorte de saint laïque, une figure que le Pape Jean-Paul II a voulu saluer au travers de son interprète, comme évoqué dans l'article sur Horst Tappert.

             Certains acteurs sont revenus à plusieurs occasions dans la série Inspecteur Derrick, quelques-uns dans plus de 20 épisodes, contribuant à lui conférer un de ses charmes, la présentation d’une galerie de personnages typés avec des interprètes récurrents au travers de différentes déclinaisons, incarnant des personnages différents d'une histoire à l'autre, présentant des visages que les spectateurs ont plaisir à retrouver régulièrement. Il existe néanmoins une exception assez notable.


Une vie sentimentale réduite

        L'actrice Marion Kracht qui était apparue dans trois épisodes entre 1986 et 1989 se voit à partir de 1994 attribuer un rôle récurrent, celui de la psychologue de la police Sophie Lauer. Le personnage sera ainsi à l'affiche de cinq épisodes, témoignant d'une certaine complicité avec l'Inspecteur Derrick. On sent quelquefois qu'il n'en faudrait pas beaucoup pour que la jeune femme devienne plus proche qu'une confidente, mais peut-être est-il prudent au vu de ses expériences précédentes.








Les affaires criminelles amènent l'Inspecteur Derrick à se rapprocher de la psychologue Sophie Lauer (Marion Kracht) au cours de plusieurs épisodes, comme dans Rencontre avec un meurtrier (photo du bas).

A la fin de l'épisode Le crime du Trans-Europe-ExpressStefan Derrick, comme ne peut s'empêcher de le relever son adjoint, s'entiche d'une femme d'un abord plutôt revêche œuvrant pour le contre-espionnage, Andrea (Alwy Becker), alors que rien ne semblait pourtant véritablement présager cette inclination - l'inspecteur lui demandait même peu de temps auparavant à quel camp elle appartenait en réalité et l'intéressée prenait mal cette suspicion. Dans la dernière scène se déroulant au café, après avoir sollicité qu'elle le raccompagne, il lui laisse comprendre, sans oser la regarder mais par une allusion manifeste, qu'il partirait volontiers avec elle durant deux semaines de vacances. Celle-là lui répond qu'elle est déjà dans une relation, ce qui déçoit manifestement beaucoup le policier puisqu'il déclare d'un ton désabusé "ça aurait été trop beau ; il n'y a que dans les films qu'on trouve des femmes seules telles que vous", mais l'intéressée ajoute curieusement qu'elle se rendra en Crête séparément un an plus tard en laissant entendre qu'ils pourraient alors s'y retrouver, et elle prend congé de lui en le gratifiant d'une douce bise sur la joue - une séquence qui demeurera sans postérité bien que l'actrice réapparaîtra dans quatre épisodes à l'occasion d'autres rôles.



Derrick et Andrea dans l'épisode Le Crime du Trans-Europe-Express et leur bref rapprochement dans l'épilogue (les deux photos du bas).

        On a vu au début de la série le policier embrasser une autre psychologue, Renate Konrad (Johanna von Koczian) avec laquelle il paraissait fiancé, mais cette relation n'a pas davantage perduré à l'écran. Il est vrai qu'il n'est pas rare de voir l'Inspecteur Derrick sollicité à tout moment comme dans Une affaire étrange, lorsqu'il doit interrompre subitement une étreinte amorcée avec Renate Konrad, ou qu'il est appelé en pleine nuit pour accomplir sa mission comme dans Choc dans lequel il doit quitter une soirée à l'opéra avec la même femme pour se porter sur une scène de crime, son collègue Schröder étant déjà accaparé par une autre enquêteAu début de l'épisode La mort du colibri, il est même d'une humeur exécrable car sa hiérarchie l'a appelé pour enquêter sur l'assassinat d'une jeune Extrême-orientale alors qu'il travaille depuis 48 heures, et on le voit peu après ingérer (sans eau, se trouvant au domicile de noceurs ne prisant que l'alcool) des cachets destinés manifestement à lui permettre d'endurer cette veille surhumaine.





Une relation plus concrète avec une autre psychologue, Renate Konrad (Johanna von Koczian), des moments d'intimité interrompus par les enquêtes comme dans Une Affaire étrange (en haut) et Choc (photo du bas). 

Dans Une Affaire étrange, l'inspecteur n'apprécie guère d'entendre rapporter par Renata que lorsqu'elle a demandé à un homme séduisant mais hautain s'il avait une petite amie, celui-ci l' « a prise assez brutalement », avant de laisser transparaître son soulagement lorsqu'elle ajoute que c'était « par la nuque ».

       Le scénariste sembla pourtant finalement accéder un temps à la demande du public qui désirait en masse qu'on gratifiât le policier d'une présence féminine, et le journal "Das Bild"  salua ainsi avec enthousiasme l'apparition en mars 1983 aux côtés de l'inspecteur quelque peu austère d'une nouvelle compagne ajoutant de la chaleur humaine à son personnage, Ariane (Margot Philipp épouse Medicus). Néanmoins, Derrick lui déclare dans l'épisode Jeu de mort que les contraintes et les responsabilités de son métier ne sont guère compatibles avec une vie privée et cette autre liaison demeurera également sans suite, le scénariste maintenant finalement sur le long terme l'image du policier solitaire. L'acteur s'est lui marié à trois reprises, ayant eu trois enfants de ses deux premières épouses, aujourd'hui tous décédés, avant de convoler en 1957 avec l'actrice Ursula Pistor avec laquelle il demeura tout le restant de sa vie. Il regrettait que l'un de ses fils, Garry, ne se rappelle à son souvenir que lorsqu'il avait besoin d'argent mais fut nonobstant très éprouvé par sa disparition précoce à l'âge de 52 ans. 




  Une autre liaison tangible et tout aussi ponctuelle avec Ariane (Margot Medicus).

Le travail, toujours le travail...

L'inspecteur Derrick arbore une mine du genre à dire "Ne me parle pas de la Saint-Valentin !..."

        Son adjoint n'est guère plus entouré, même s'il arrive parfois à Harry Klein d'éprouver un très fort penchant au cours d'une enquête, ce qui ne l'empêche pas de se laisser aller à adresser un clin d'oeil à une danseuse plutôt dévêtue dans un bar dans Quand les oiseaux ne chantent plus, mais cette inclination demeure toujours sans suite comme dans l'épisode Alerte ou plus tragiquement lorsque la jeune fille dont il s'était épris est assassinée à la fin d'Aventure au Pirée. Son interprète Fritz Wepper, qui a conçu une fille à l'occasion d'une relation extra-conjugale, était plus hardi puisqu'il révelera en août 2021 dans son autobiographie, "Ein ewiger Augenblick" avoir également entretenu à l'âge de 27 ans une liaison intime l'espace d'une année avec l'actrice Iris Berben alors âgée de 18 ans, apparue par la suite dans plusieurs épisodes d'Inspecteur Derrick, qu'il avait rencontrée sur le tournage de L'Homme à l'oeil de verre au générique duquel figurait aussi Horst Tappert, mais laquelle n'avait pas pour autant mené à une véritable relation sentimentale. 

Un épilogue douloureux pour Harry dans Aventure au Pirée.

Une tradition de détectives sans attaches

        L’inspecteur Derrick rejoint ainsi la liste des enquêteurs de l’écran si impliqués dans leur mission que celle-là ne semble pouvoir permettre un investissement dans une relation sentimentale, qu’ils y aspirent ou y renoncent, célibataires comme Nero Wolfe (William Conrad) dans L’homme à l’orchidée, Hercule Poirot et Jessica Fletcher souvent portés à l’écran, personnages créés par Agatha Christie qui a aussi imaginé Miss Marple, une veuve, le Commissaire Maigret, Cannon (à qui William Conrad prêtait déjà son visage) dont la femme et le fils ont péri dans une attaque terroriste d'après le pilote de la série, le maladroit et assez introverti Lionel Whitney de Timide et sans complexe joué par Jeff Goldblum ou encore le malchanceux Thomas Magnum incarné par Tom Selleck dans la série éponyme. 


Le héros éponyme de la série Magnum, le détective privé interprété par Tom Selleck, qui en dépit de son charme et de sa bienveillance peine à retenir les femmes, logé dans la demeure de l'insaisissable Robin Masters dont le régisseur est un autre célibataire, Higgins (à droite sur la photo), un personnage un peu guindé et caustique, ayant conservé de son service lors de la Guerre du Vietnam un fort penchant pour la discipline, qu'incarne John Hillerman, un acteur lui-même célibataire.


Si Higgins reste impregné de son temps passé sous l'uniforme à la différence de Magnum qui préfère oublier ces souvenirs traumatisants (on retrouve le même clivage dans le film Rambo (First Blood) entre l'ancien combattant joué par Sylvester Stallone qui demeure écorché vif et son antagoniste le shérif Teasle joué par Brian Dennehy qui a repris après le service une existence conventionnelle dans une Amérique désireuse d'oublier sa défaite douloureuse), il mène une vie paisible en se consacrant à l'horticulture. 

Au fur et à mesure que la cohabitation amène Higgins et Magnum à mieux se connaître, leurs rapports évoluent pour s'apparenter à une relation entre deux frères, le premier assumant le rôle de l'aîné un peu autoritaire, tandis que le mystérieux propriétaire de la demeure revêt le rôle symbolique du père absent. A la fin de la série, dans l'épisode A la recherche de Lily (Resolutions : Part 2), le régisseur soudain taquin prétend très provisoirement à Magnum être lui-même Robin Masters ; en vérité, l'acteur et réalisateur Orson Welles prêtait à l'occasion sa voix à l'homme énigmatique lorsqu'il communiquait par téléphone et il était prévu qu'il apparaisse finalement à l'écran, mais son décès en 1985 a empêché cette concrétisation.


William Conrad, également interprète du rôle-titre de Cannon, dans le rôle de Nero Wolfe joue aussi un détective aux petits soins pour les fleurs qu'il cultive dans sa verrière dans L'homme à l'orchidée (Nero Wolfe) entre deux élucidations d'enquêtes.

Autre détective célibataire, l'assez loufoque Lionel Whitney interprété par Jeff Goldblum (future vedette du remake de La Mouche (The Fly) par David Cronenberg), qui s'est associé à un partenaire pas très honnête pour fonder une agence de détectives privés dans Timide et sans complexe (Tenspeed and Brown Shoe), devait se marier dans le pilote mais il n'en est plus question dans la suite de la série.

L'insaisissable femme d'un autre célèbre inspecteur 

      Il existe parfois à l’inverse des couples qui effectuent des enquêtes solidairement, qu'il soit officiel dans L’amour du risque (Hart to Hartou informel comme dans Remington Steel et finalement régularisé dans Clair de lune (Moonlighting) qui tendait vers la comédie, évolution qui aurait été préjudiciable à l'intérêt du public, les relations plus ambigües entre les deux protagonistes, dont l'un interprété par Bruce Willis qui accédait ainsi à la notoriété, constituant le ressort principal de la série.

        Le cas de Columbo est plus singulier ; le célèbre détective joué par Peter Falk est marié, d’une fidélité pratiquement jamais prise en défaut (il n'est néanmoins pas toujours hermétique à certaines tentatives de séduction par des suspectes) et il évoque souvent son épouse à l'occasion de ses enquêtes. Cependant, à la manière de l'énigmatique Robin Masters de Magnum, celle-là n’apparaît jamais à l’écran, au point qu'on pourrait finir par douter de son existence et par se demander si l'allure brouillonne et même assez négligée de ce policier souvent pris de prime abord pour un clochard n'est pas due à sa condition un peu relâchée de célibataire ne se souciant guère de son apparence, ne s'inventant une épouse que pour des raisons rhétoriques utiles pour son enquête. Dans l'épisode Attention : le meurtre peut nuire à la santé (Caution : Murder can be hazardous for your health), le toiletteur pour chiens indique cependant au policier avoir reçu de son épouse l'instruction de s'occuper des griffes de leur compagnon.


L'incorruptible Lieutenant Columbo cède brièvement à la séduction d'une suspecte interprétée par Faye Dunaway dans l'épisode Le meurtre aux deux visages (It's all in the game).

    Un épisode semblait pourtant sur le point de la dévoiler, Eaux troubles (Troubled Waters) en 1975, car le policier y embarquait avec sa femme pour une croisière. Cependant, un meurtre commis à bord fait qu’en raison de sa profession, les aptitudes du policier sont bientôt sollicitées par le Commandant interprété par Patrick McNee (héros de la série Chapeau melon et bottes de cuir, John Steed, toujours secondé par une jolie femme mais qui semble lui aussi célibataire à l’instar de nombre de personnages secondaires un peu excentriques qui apparaissent dans la série britannique), de sorte que le voyage romantique cède aussitôt le pas à des investigations. Dans l’épilogue, le Commandant salue les passagers qui débarquent, mais, ultime pirouette du scénario, l’épouse se fait attendre et fausse ainsi une ultime fois compagnie au téléspectateur.


La curiosité du télespectateur au sujet de la femme de l'Inspecteur Columbo, souvent évoquée mais jamais vue à l'écran, ne paraît jamais si près d'être satisfaite que dans l'épisode Eaux troubles (Troubled Waters) à l'affiche duquel figurent nombre de visages connus, Robert Vaughn, Dean Stockwell, Peter Maloney (la première victime américaine dans The Thing de John Carpenter) et Patrick McNee, le célèbre John Steed de Chapeau melon et bottes de cuir (The Avengers). Ce dernier interprète le capitaine d'un navire de croisière. Lorsque l'épisode débute, Madame Columbo est déjà dans sa cabine, ce qui confirme qu'elle n'est pas une pure invention, mais elle demeure hors champ car un assassinat amène bientôt le Capitaine Gibbans à faire appel à la perspicacité du policier pour enquêter officieusement sur le crime. Le détective parviendra comme à l'ordinaire à démasquer le coupable, mais dans l'épilogue, alors que le Capitaine s'apprête à saluer tous ses passagers, l'Inspecteur Columbo s'apperçoit que son épouse n'est pas présente, demande à l'assistance si quelqu'un l'a vue et part la retrouver alors que le générique de fin débute, laissant délibèrement sur ce point le spectateur dans une forme relative de frustration.

        Lorsque la série reprend à la toute fin des années 1980, celle-ci semble être à nouveau sur le point de nous révéler la femme si évanescente, alors qu'une meurtrière interprétée par Helen Shaver (Tremors 2, séries télévisées Poltergeist et Au-delà du réel, l'Aventure continue) prévoit de l'assassiner dans l'épisode L'enterrement de Madame Columbo (Rest in peace, Mrs Columbo) et qu'on nous présente une photo comme étant la sienne dans la demeure supposée de l'Inspecteur, mais il s'avère dans l'épilogue qu'il ne s'agissait que d'une manigance du détective pour déjouer le plan criminel et confondre son instigatrice, même si le portrait n'est finalement pas sans lien familial avec le policier.

Madame Columbo à côté du célèbre lieutenant dans un cadre présentant des photos de famille, disposé sur le piano ? Il s'agit bien de Madame Columbo, mais non l'insaisissable femme du célèbre policier, mais sa belle-sœur, dans une mise en scène destinée à piéger l'instigatrice d'une vengeance impitoyable dans l'épisode L'enterrement de Madame Columbo.

        Le public américain aura finalement la possibilité de découvrir enfin la mystérieuse femme, puisqu’une série inspirée, Madame Columbo, mettra en scène l’épouse supposée entreprenant à l’imitation de son célèbre mari d’élucider à son tour des crimes perpétrés dans le voisinage, mais ce succédané fut loin d’obtenir le même succès populaire que l’original, même s’il proposait tardivement de mettre un visage sur ce personnage jusqu’alors si évanescent, celui de l’actrice Kate Mulgrew (qui deviendra notamment le Capitaine Kathryn Janeway dans la série Star Trek : Voyager), et les scénaristes décidèrent de l'émanciper en la faisant divorcer de l'Inspecteur puis en retirant toute référence au mari, retitrant finalement la série autour de son seul prénom, Kate the Detective, puis Kate loves a Mystery, sans devenir plus populaire pour autant. La vraie femme de l'interprète était, elle, réellement dans la série, puisqu'après avoir divorcé de sa première femme, Peter Falk a épousé l'actrice Shera Danese qui apparaît dans six épisodes de Columbo.





Ce n'est pas tant le désir de présenter enfin aux spectateurs l'épouse du fameux inspecteur Columbo qui a donné envie aux producteurs de la révéler à l'écran, mais le refus en 1978 de Peter Falk de reprendre durant quelque temps son fameux personnage qui a suscité chez eux l'idée d'exploiter son succès en présentant un succédané féminin y faisant référence par son nom de famille. Les créateurs de la série avaient souhaité que l'actrice Maureen Stapleton (qu'on peut voir notamment dans les films de science-fiction Cocoon et Cocoon, le retour) se voit confier le rôle, mais le producteur au titre de la NBC lui a préféré une interprète plus jeune et séduisante en choisissante Kate Mulgrew, qui a donné son vrai prénom au personnage. Ce prénom a fini par être imposé à égalité avec son patronyme avec le nouvel intitulé Kate Columbo, puis la filiation avec la série d'origine ne payant pas, le titre de la série devint Kate the Detective, puis Kate loves a Mystery, le personnage perdant officiellement son célèbre nom de famille en divorçant pour devenir Kate Callahan, élevant seule sa fille. Son ex-mari fut même finalement rebaptisé Philip, alors que dans l'épisode Question d'honneur (A matter of Honor), on peut apercevoir la carte professionnel du policier incarné par Peter Falk qui indique le prénom Frank, mais ces tergiversations ne profitèrent pas au programme dont le dernier épisode à l'issue de deux saisons ne fut même pas diffusé. Lorsque Peter Falk donna finalement des années plus tard son accord pour tourner de nouvelles saisons de Columbo, ses créateurs voulurent tirer un trait sur cette série dérivée (on parle aujourd'hui de "spin off"), d'autant que le personnage affirmait être opposé au divorce, qu'il aurait d'après la chronologie de la série principale pris femme lorsqu'elle n'avait que 13 ans ce qui n'aurait pas été légal, et ils auraient ainsi souhaité que pour son retour, l'Inspecteur Columbo se plaigne qu'une jeune fille prétendait être sa femme, qu'il aurait apprécié qu'elle lui ressemble, mais qu'elle avait juste usurpé son nom. 




Kate Mulgrew n'est pas restée dans les mémoires comme épouse réelle ou supposée de l'Inspecteur Columbo, mais elle a connu davantage de consécration en devenant le Capitaine Kathryn Janeway de la nouvelle série Star trek, Voyager, de 1995 à 2001 (en bas à côté de Ray Wise, vu dans Robocop et la série Twin Peaks), et son personnage fait une courte apparition sur grand écran dans le film Star Trek : Nemesis.

        Le scénariste d’Inspecteur Derrick a choisi non sans pertinence de se rattacher à cette tradition du policier solitaire, car non seulement cette optique évite toute digression qui détournerait de l’atmosphère souvent prenante des huis-clos psychologiques au centre des épisodes, mais les critiques superficielles qui raillent la lenteur de la série s’en seraient trouvées renforcées dans le cas d’intermèdes montrant l’Inspecteur dans des scènes quotidiennes, d’autant qu’il peut déjà compter sur l’écoute attentive de son adjoint pour faire part de ses doutes ou de ses scrupules relatifs à ses enquêtes le cas échéant.