vendredi 2 décembre 2022

L’ENQUÊTE CÔTÉ SPECTATEUR

 


    Depuis l’Inspecteur Dupin d’Edgar Allan Poe, Sherlock Holmes de Conan Doyle puis Maigret de Simenon, ou encore Hercule Poirot et Miss Marple d’Agatha Christie, l’amateur de séries policières s’attend à ce qu’on le fasse pénétrer dans l’intimité d’une enquête, qu’on lui révèle la manière dont les moindres indices sont exploités pour conduire à la résolution des crimes. C’est également ce que semblent promettre deux séries policières célèbres du petit écran, Columbo et Inspecteur Derrick, mais il convient de se pencher plus précisément sur leur cas pour examiner si celles-ci se plient véritablement à l’exercice supposé ou si la place dévolue au spectateur est plus illusoire.

    Dans Columbo, le coupable est systématiquement montré en train d’agir au commencement de l’histoire, et c’est parfois également le cas dans nombre d'épisodes d’Inspecteur Derrick, comme Le diplomateUne affaire étrange, Un triste dimanche et Les enfants de Rasko. Par conséquent, le téléspectateur a une longueur d’avance sur l’inspecteur dépêché sur les lieux du crime, puisqu’il connaît au préalable le coupable, ses motivations ainsi que les circonstances exactes du crime. On s’attend donc à ce qu’on nous propose d’accompagner en terrain de connaissance l’enquêteur dans ses investigations, de suivre ses avancées et de déduire en même temps que lui, si ce n’est d’anticiper, quels éléments permettront l’arrestation du malfaiteur sans lui laisser d’échappatoire. La série américaine, tout particulièrement, conduit à priori le spectateur à postuler qu’il a vocation à être associé d’emblée aux investigations en sollicitant sa sagacité intellectuelle pendant que l‘inspecteur accumule des observations semblant souvent de prime abord anodines, mais qui vont finir par s’avérer déterminantes. Les preuves qui perdent le criminel ne sont cependant généralement connues que du détective, n’étant dévoilées façon Deus ex machina au spectateur seulement que lorsqu’il le confond, telle qu'une empreinte digitale relevée sur un objet lié au crime, de telle sorte que celui-ci reste passif comme s’il assistait à un tour de magie, contraint d’attendre que le prestidigitateur habile dévoile ses atouts cachés, et il réalise au bout de plusieurs épisodes qu’il est donc inutile qu’il s’efforce de chercher de lui-même à identifier les indices laissés par le coupable qui permettront de l’incriminer – à noter que dans l’épisode Les surdoués, c’est le meurtrier lui-même qui se livre en expliquant par vanité au policier les derniers détails qui lui manquaient pour permettre son arrestation. 

"Et voilà, c'est tout simple !  Comment, vous n'aviez pas trouvé les preuves depuis chez vous ?..C'était pourtant évident, non ?...Bon, c'est vrai, je ne vous ai peut-être pas tout dévoilé jusque-là..."

    Un exemple particulièrement significatif de la longueur d’avance que conserve l’investigateur sur le public en donné par l’épisode Jeu d’identité. C’est dans l’épilogue que le Lieutenant Columbo révèle un certain nombre de preuves que le spectateur ne pouvait deviner, lesquelles démentent l’alibi du criminel interprété par Patrick McGoohan selon lequel il affirmait être en train d’enregistrer un discours à une heure avancée dans son bureau le soir où la victime était assassinée, tel le bruit d’un store qu’on baisse pour se protéger du soleil à son zénith, et la participation des Chinois aux Jeux olympiques que ne pouvait connaître le coupable au moment où il dit avoir rédigé le texte – toute allusion précédente à cet évènement a d’ailleurs été supprimée de la version traduite, rendant cet élément probant réellement inattendu dans le dénouement pour le téléspectateur francophone.

Les investigations du Lieutenant Columbo (Peter Falk) se resserrent inéluctablement sur Nelson Brenner (Patrick McGoohan), à gauche sur la photo, tandis qu'il décortique sur un magnétophone l'enregistrement du discours dicté par le suspect à sa secrétaire, lequel comporte notamment le bruit du store visible au fond de la pièce, un indice accablant au regard de l'alibi.

    La série déroge quelquefois à cette règle en laissant filtrer un indice pour les plus attentifs, comme, à propos d’un autre alibi enregistré, dans l’épisode Attention : le meurtre peut nuire gravement à la santé dans lequel, alors que le présentateur Wade Anders interprété par George Hamilton a prévu d’enregistrer d’avance au travers de la caméra de contrôle une seconde sortie des studios de télévision destinée à être substituée à celle du lendemain soir pendant lequel il assassinera son maître-chanteur en l’amenant à fumer une cigarette empoisonnée, un employé du jardinage lui indique qu’il va tailler toutes les haies, ce qui implique que celle de l’entrée sera raccourcie et ne correspondra dès lors plus à celle buissonnante fixée sur la pellicule censée avoir été enregistrée le soir suivant.



Autre enregistrement, cette fois visuel, utilisé par Columbo pour défaire son suspect, le présentateur d'une émission dénonçant les criminels, Wade Anders interprété par George Hamilton dans Le meurtre peut nuire gravement à la santé ; en haut, enregistrement par la caméra de la sortie du studio du criminel le soir du crime à une heure très tardive, en dessous, le détective pointe la haie taillée sur l'enregistrement le montrant arriver dans le bâtiment au début de la journée, démonstration irréfutable que la première est antérieure à la seconde et que la bande a donc été trafiquée pour falsifier ses horaires au moment fatidique.

    Une autre piste est proposée au spectateur le plus perspicace dans Meurtre au champagne. Le chimpanzé provisoirement hébergé dans l'appartement de la victime ne peut s'empêcher de toucher les objets métalliques, aussi Columbo peut prouver que l'assassin joué par Rip Torn était bien dans l'appartement de son neveu dont il voulait s'emparer de la fortune gagnée au loto en mettant en évidence les empreintes du singe sur la médaille du déguisement que l'oncle sortant de sa fête costumée portait, prouvant qu'il se trouvait bien à son domicile durant la soirée du meurtre.

    Exceptionnellement, le téléspectateur critique pourrait en revanche mettre en question le raisonnement du policier. Dans l’épisode Couronne mortuaire, Columbo estime que la suspecte apparente n’a pas pu déplacer seule le corps de son amant pour simuler un accident de voiture, car une femme relativement menue n’en aurait pas les capacités physiques, alors que dans le second épisode pilote, Rançon pour un homme mort, l’épouse qui tue et traîne le corps de son mari jusqu’à sa voiture, interprétée par Lee Grant, n’a pas une constitution ostensiblement plus robuste. Plus curieusement, le Lieutenant Columbo avoue à la fin de l'épisode Criminologie appliquée incapable de découvrir le mobile de l'assassinat d'un professeur par deux étudiants dont il avait percé la tricherie à l'examen.


Dans le second pilote de Columbo, Rançon pour un homme mort, l'avocate Leslie Williams (Lee Grant) assassine son mari et traîne son corps jusqu'à sa voiture, action que l'inspecteur jugera par la suite impossible pour la suspecte de l'épisode Couronne mortuaire, certes écrit par un scénariste indépendant mais néanmoins supervisés tous deux par les créateurs de la série William Link et Richard Levinson.

    Dans nombre d’épisodes de l’Inspecteur Derrick, le spectateur est lui aussi cantonné à suivre les investigations de la police de Munich quand bien même il est témoin en temps réel des agissements des criminels. Les deux détectives ont en commun de pressentir rapidement l’identité du coupable, et se trompent très rarement ; il arrive même quelquefois à l’Inspecteur Columbo de se départir de sa fausse candeur pour asséner au suspect « Je sais que c’est vous le coupable, même si je ne peux le prouver » tout en lui laissant l’impression que son répit sera de courte durée. En dépit de l'affrontement psychologique souvent intense entre l'inspecteur et son suspect, le policier américain se repose sur des éléments matériels et finira toujours pas trouver le ou les détails qui vont démentir l’alibi en apparence incontournable et amener à acculer le criminel. Dans la série Inspecteur Derrick, il est la plupart du temps substitué à cette technicité du regard de l’investigateur l’élément humain comme facteur primordial, souvent parce que Derrick pousse les protagonistes dans leurs retranchements jusqu’à ce qu’ils laissent enfin la vérité surgir. Si, dans les cas où il ne lui a pas été donné d’assister au crime, le public peut partager la suspicion de l’inspecteur, il lui est là aussi difficile d’anticiper les suites de l’enquête, car bien souvent, les soupçons de Derrick ne seront effectivement avérés que lorsqu’un témoin ou un complice passera aux aveux, mettant à bas l’emploi du temps fictif de l’auteur du crime ou bien avouant lui-même sa participation au forfait.

Dans Inspecteur Derrick, le téléspectateur est moins explicitement incité à anticiper les avancées de l'enquête qu'à se vouer à la capacité de l'Inspecteur de faire naître la vérité en faisant psychologiquement accoucher les suspects de leurs secrets refoulés (ici Mathieu Carrière dans l'épisode Bienvenue à bord) .

    Au travers de cette orientation, la série Inspecteur Derrick manifeste sans doute plus clairement que Columbo que l’objectif principal des enquêtes ne consiste pas à stimuler la perspicacité du spectateur de manière à ce qu’il se sente impliqué dans l’élucidation des affaires, mais à le prendre à témoin de la manière par laquelle le crime fragmente la société. Dans un nombre important d’épisodes, ce sont moins les détours de l’enquête menée par l’inspecteur Derrick qui focalisent l’attention du spectateur que la façon dont vont agir les personnes impliquées directement ou indirectement dans l’affaire, voire leur évolution psychologique.

    Ainsi, la résolution dans Une affaire étrange ou dans Lena accapare finalement moins l’attention que le devenir des rapports pervers entre le mari trompé coupable d’assassinat et le couple illégitime qui le tient totalement sous son emprise en portant l’indécence à son paroxysme dans le premier épisode, ou la relation fort surprenante qui s’établit dans le deuxième entre le veuf et sa belle-sœur honnie dans un renversement assez étonnant mais néanmoins amené avec subtilité grâce à la finesse de l’écriture et de l’interprétation. De la même façon, dans Les enfants de Rasko, l’attention du spectateur est moins attirée par les investigations que mène Derrick que par le dilemme qui tenaille un frère et une sœur, tentés de dénoncer celui qui a causé la mort de leur père mais refrénés en raison de leur complicité initiale avec l’auteur des faits, ce que l’intéressé ne manque par de leur rappeler pour les dissuader de se confier à la police. Dans Un triste dimanche et Le lendemain du crime, c’est le fils, respectivement le complice d’un cambriolage qui se termine mal et le coupable d’un meurtre passionnel, qui, tenaillé par le remord, finit par se confesser à l’inspecteur, mettant à bas l’alibi que le père avait forgé pour occulter leur responsabilité ainsi que se couvrir lui-même dans le premier cas.

Michael Rasko (Volker Eckstein) tente en vain d'apaiser sa sœur Anja (Anja Jaenicke), les deux adolescents étant accablés par la mort de leur père qu'ils ont inconsidérément causée. Lorsque son meurtrier est assassiné, l'inspecteur Derrick qui a deviné la vérité les soupçonne immédiatement et ne relâche pas la pression sur eux dans l'intention d'obtenir leurs aveux, mais c'est un évènement imprévu qui clôturera finalement cette sombre affaire.

    Dans certains épisodes, l’Inspecteur Derrick devient même un témoin passif ne pouvant que souhaiter qu’un assassinat ne survienne pas, sans être réellement en mesure de l’empêcher. Il est ainsi réduit à s’inquiéter de la manière dont peut agir un jeune homme impatient interprété par Mathieu Carrière dans Une vieille histoire qui veut absolument faire justice à l’encontre d’un homme dont il est convaincu qu’il a assassiné son père pour lui dérober ses biens à la fin de la guerre, en dépit de la difficulté à rassembler des preuves incontestables. De la même façon, dans Rencontre avec un meurtrier, le policier ne peut incriminer officiellement le mari jaloux dont il est persuadé qu’il a abattu l’amant de son épouse et dont il craint, à défaut qu’il s’en prenne aussi à cette dernière, cible trop évidente, que sa rancœur ne finisse par resurgir de manière incontrôlable en transférant une rage difficilement réprimée sur une femme innocente, la suite prouvant que l’analyse psychologique du policier était juste. Un troisième cas est fourni par l’exemplaire épisode Le Sous-locataire, dans lequel il est, malgré l’insistance d’un ancien collègue, impuissant à agir officiellement contre un ancien détenu qui tient sous une emprise glaçante et implacable toute la maisonnée de celle qui fut sa femme, espérant avoir un motif pour intervenir avant que l’irrémédiable soit commis, mais la peur paralyse toute parole et Buschmann (Peter Kuiper) prend garde de ne causer aucun acte concret punissable, jusqu’à ce que le huis-clos explose finalement.



Chargé de suivre la réinsertion de Walter Buschmann (Peter Kuiper), Leo Kurat (Fritz Strassner) se montre très inquiet de voir l'inquiétant personnage chercher à s'incruster chez son épouse et alerte son collègue Derrick (photo du milieu), mais celui-là ne dispose d'aucune marge d'action dans le cadre de ses fonctions.

    On pourrait conclure que, d’une certaine façon, la série Columbo leurre quelque peu le spectateur en centrant essentiellement les épisodes sur les investigations, lui laissant même parfois entrevoir quelques nouveaux éléments hors de la présence du policier, de sorte qu’il se sente fallacieusement incité à exercer son esprit d’analyse, la promesse implicite d’accompagner voire de devancer l’investigateur dans ses déductions en cherchant les moyens de confondre le coupable étant néanmoins souvent déçue comme on l’a exposé plus haut, celui-là étant forcé d’attendre le dévoilement par le policier infaillible de sa carte maîtresse dans le dénouement. Le téléspectateur attentif ne peut manquer de réaliser qu’à la différence de ceux de Columbo, les épisodes de la série Inspecteur Derrick reposent souvent moins sur les enquêtes même si celles-ci sont partie intégrante de la structure narrative et formelle des épisodes, que sur la mise en évidence de situations et des fragilités qu’elles révèlent. De la sorte, il est moins porté à tenter vainement de cerner les preuves accablantes pour le coupable et davantage incité à s’immerger dans l’atmosphère d’une peinture psychologique et sociale édifiante.


vendredi 16 septembre 2022

LES BRILLANTS SECONDS ROLES

Trois interprètes notables récurrents de la série Inspecteur Derrick, réunis sur les planches en 1988 pour la pièce Der Lebensretter, à gauche, assis, Klaus Schwarzkopf, au milieu, Ursula Lingen, et debout à droite, Peter Fricke. 

Même si Horst Tappert personnifie la série au travers de son rôle d'Inspecteur Derrick, celle-là ne serait pas si marquante sans les acteurs accomplis qui se succèdent et qu'on retrouve à l'occasion d'un épisode à l'autre dans un nouveau rôle, donnant vie aux personnages imaginés par le scénariste Herbert Reinecker.

Ceux-ci sont généralement brillants, portant l'histoire en incarnant les situations signifiantes. La participation des interprètes ponctuels revêt en effet une importance cruciale dans la série ; non seulement leur place peut être essentielle voire centrale dans l'épisode, mais une responsabilité forte leur incombe. Tandis qu'on exige principalement d'Horst Tappert et de Fritz Wepper qu'ils soient des acteurs au sens premier du terme,  c'est-à-dire qu'ils restituent scrupuleusement les dialogues, avec le ton juste et en situation, en servant le fil conducteur des enquêtes, sous le regard vigilant et intransigeant du scénariste Herbert Reinecker, on attend des comédiens occasionnels qu'ils se livrent à une vraie composition de manière à rendre leur personnage particulièrement convaincant, à la fois crédible et susceptible de capter l'attention du spectateur, car c'est sur eux que repose tout particulièrement la tension dramatique de l' intrigue d'un épisode dans tout ce qu'il comporte de singulier. Beaucoup sont des acteurs de théâtre, certains ayant travaillé sous la direction de Peter Weiss, et font couramment aussi du doublage de films et séries. Fin connaisseurs des grands auteurs dont ils interprétaient les pièces sur scène ou sous forme de lecture, ils faisaient partie de l'élite culturelle de l'Allemagne, à mille lieues de l'image ringarde que voulaient donner de la série les contempteurs snobs ou puérils en France. Il n'est pas rare qu'ils aient mené leur carrière jusqu'à la fin de leurs jours, lorsque celle-là n'a pas été abrégée par un destin tragique. Ils interprètent leurs rôles avec tant de conviction, de crédibilité, qu'on a tendance à oublier qu'ils sont en train de jouer devant la caméra, et qu'on est au contraire spontanément porté à croire qu'il s'agit personnages réels saisis dans les aléas du quotidien.

Le dramaturge Peter Weiss, posant devant une de ses peintures, a dirigé un certain nombre d'acteurs d'Inspecteur Derrick sur les planches.

Ernst Schröder (assis dans le fauteuil) est apparu dans cinq épisodes d'Inspecteur Derrick ;  on le voit ici dans la pièce de théâtre Fin de partie sous la direction de l'auteur Samuel Beckett (à côté)  - lequel a aussi mis en scène Klaus Herm, qui a quant à lui tourné dans pas moins de treize épisodes de la série policière d'Herbert Reinecker. Traugott Buhre, vu dans sept épisodes, a aussi interprété une pièce du dramaturge de l'absurde en 2006.

Certains composent des figures fort inquiétantes, comme Dirk Galuba, Peter Kuiper, Wilfried Bassner, Gerd Haucke, Peter Fricke, Pinkas Braun, Traugott Buhre, Volker Eckstein ou encore Maria Becker, tandis que d'autres se prêtent plutôt spontanément à incarner des victimes, des êtres manipulables comme Pierre Franckh, Holger Handtke, Dieter Schidor ou encore Philip Moog. Beaucoup d'autres naturellement pourraient être cités, comme Gerd Bukhard qui joue des personnages apparemment lisses, Karl Renar des individus renfrognés et mal aimables, ou d'autres qui expriment une certaine lâcheté, une pleutrerie parfois accompagnée de veulerie comme Ralf Schermuly, Gerd Baltus, Klaus Herm, Herbert Fleischmann, Dirk Dautzenberg, sans parler de Walter Schwarzkopf qui ajoute souvent à son caractère un peu effacé et velléitaire une fragilité qui invite à la compassion voire suscite une petite touche d'émotion. 

On peut relever que les acteurs d’Inspecteur Derrick composant les criminels endurcis les plus impressionnants comme Wilfried Baasner, Peter Kuiper et Gert Haucke ont toujours joué séparément dans des épisodes de la série – et ne côtoient pas davantage Dirk Galuba, un autre acteur typé spécialisé dans les rôles de truands qui est apparu une vingtaine de fois dans le programme jusque dans l’ultime épisode. Ces interprètes confèrent à leurs personnages une force si prégnante qu’ils sont la pièce maîtresse d’un épisode, le pilier de l’histoire suscitant une fascination quelque peu perverse quand bien même leur rôle dans l’intrigue demeure au second plan, comme Wilfried Baasner dans Nuit blanche, jouant Rotter qui exerce un chantage sur son avocat depuis sa cellule de prison. Ces acteurs marquants à la puissance presque magnétique sont utilisés séparément dans la série, comme si les épisodes dans lesquels ils figurent étaient structurés autour de leur incarnation et qu’il convenait de les mettre en valeur de manière exclusive, chacun à leur tour, de manière à optimiser le procédé de captation de l’attention qu’on pourrait presque rapprocher du principe établi par les créateurs de la série de science-fiction des années 1960 Au-delà du réel (The Outer Limits) qui visait à faire frémir le spectateur en proposant à chaque fois une nouvelle créature monstrueuse surnommée "ours", soit le clou du spectacle qu’on lui promettait à chaque rendez-vous avec le programme, et il est vrai qu’à chaque apparition, ces comédiens captent l’attention. Les esprits chagrins pourraient arguer que ces acteurs, en particulier Baasner, Haucke ou Galuba, ne cultivent pas la subtilité dans leur interprétation ; cependant, des êtres rustres, dépourvus d’empathie et de tout scrupule tels ceux qu’ils composent sont malheureusement loin d’être rares dans le monde réel. La psychologie de la série ne s’attache pas particulièrement à explorer les ressorts de l’esprit des criminels à l'exception d'Un mort sur la voie ferrée – même si dans Une longue journée, nous sommes rendus témoins des hésitations de Hassel (Robert Meyer), l’acolyte de Koller joué par Baasner, qui tente de modérer la violence de son chef, mais elle affleure plutôt dans les situations elles-mêmes en ce qu'elles révèlent les individus. Le scénariste Herbert Reinecker agence finement l’atmosphère des histoires et les dialogues qui rendent compte de l’évolution des rapports de force, il est principalement demandé à ces acteurs accomplis de prêter une force concrète à ces personnages de brutes et ceux-ci remplissent leur tâche de manière exemplaire en leur donnant vie à chaque instant de leur passage à l’écran, y bousculant la vie des infortunés qui ont le malheur de croiser leur chemin et générant une vraie tension dramatique.


Trois acteurs ayant à plusieurs reprises composé des personnages patibulaires dans la série Inspecteur Derrick, prêts à tenir vigoureusement tête au policier munichois, Wilfried Baasner, Peter Kuiper et Gert Haucke. Gare si ces chauves sourient...

On reviendra sur certains visages particulièrement mémorables qui ont jalonné la série, avec quelque allusion à leur carrière souvent méconnue hors d'Allemagne.

Trois acteurs ayant tourné à plusieurs reprises dans la série Inspecteur Derrick se trouvent réunis en 1987 à l'occasion du jeu télévisé "Na siehste !" présenté par Elton Elton, de gauche à droite, Wilfried Baasner, Susanne Uhlen et Wolf Roth.

mardi 31 mai 2022

DES EPISODES MEMORABLES


    Les téléspectateurs ayant visionné occasionnellement des épisodes d'Inspecteur Derrick et de Columbo peuvent penser que ces deux séries contemporaines sont assez comparables par leur rythme posé mettant en valeur un policier tenace, et envisager par là-même celle conçue par Herbert Reinecker au milieu des années 1970 comme un succéda allemand inspiré du célèbre modèle américain, même si elle se situait dans la lignée de sa série Der Kommissar. Il existe en réalité bien des différences sur lesquelles on aura l'occasion de revenir plus en détail dans de futurs articles mais, dans l'immédiat, on peut déjà les envisager dans leur ensemble, considérer la manière dont les épisodes se déclinent dans chacune, afin de déceler si ceux-là dénotent une grande unité ou au contraire ressortissent de plus libres variations.

    Les épisodes de la série Columbo obéissent à un modèle éprouvé selon un schéma réitéré assez systématiquement presque à la manière d'un exercice obligé, bien que ses concepteurs parviennent à éviter la monotonie au travers des différents détours des investigations et des variations comme lorsqu'un criminel tente d'impliquer un faux coupable à sa place avec des indices fabriqués tel Dale Kingston (Ross Martin) dans l'épisode Plein cadre et Patrick Kinsley (David Rasche) dans La griffe du crime, de sorte qu'un grand nombre de téléspectateurs prennent plaisir à les revoir régulièrement. On se remémore davantage certains d'entre eux au travers du visage connu de l'acteur qui incarne le criminel, comme Donald Pleasance, Robert Culp, les vedettes de Star Trek, Leonard Nimoy dans un épisode, William Shatner dans deux, des Mystères de l'Ouest, Ross Martin et Robert Conrad, ce dernier dans un épisode qui a inspiré un vrai assassinat (1), celle de Cosmos 1999 (Space 1999) et Mission Impossible, Martin Landau, ou encore des amis proches de l'acteur principal, John Cassavetes et Patrick McGoohan, le créateur et interprète principal de la série Le Prisonnier (The Prisoner) qui ne manque pas de présence, tout comme Jack Cassidy moins connu en France, ces deux derniers composant à plusieurs reprises des personnages remarquables - à la différence de Jeff Goldblum qui ne fit qu'un bref passage comme figurant, et on aperçoit aussi dans des rôles secondaires Vincent Price, Leslie Nielsen, Donald Moffat et Kevin McCarthy (2). On aura d'autres occasions d'évoquer par la suite la série américaine pour la comparer à sa concurrente allemande.

    Au sein de la série Inspecteur Derrick, des épisodes laissent une imprégnation plus durable dans la mémoire du spectateur, que les acteurs incarnent des personnages réellement effrayants comme y excellent les acteurs Peter Kuiper, Wilfried Baasner ou Gerd Hauk, ou bien au contraire qui nous émeuvent par leur candeur ou la tragédie qui les éprouve, que la situation dépeinte soit singulière comme dans Une affaire étrange, ou encore que le dénouement nous surprenne par une fin tragique subite, ou plus rarement un épilogue heureux inattendu. 

                                     Petit visuel composé d'images d'épisodes mémorables.     

        A  la différence des soixante-neuf enquêtes de Columbo qui, en dépit du renouvellement constant des scénaristes qui ont succédé les uns aux autres lors des dix-huit saisons, voient toujours le détective intensifier ses investigations autour du suspect selon un schéma un peu similaire, les épisodes  d'Inspecteur Derrick excipent d'une certaine variété et tiennent parfois en haleine le public en laissant subsister jusqu'au dénouement un doute quant à la tournure des évènement. Ainsi, on ne peut réduire ceux-là à un unique fil conducteur - ce cadre que les scénaristes américains surnomment "la Bible" et qui définit un cahier des charges que les auteurs doivent respecter pour garantir l'unité du programme. Seul concepteur des intrigues de la série allemande, Herbert Reinecker s'est à l'inverse attaché à opter pour différentes approches pour les 281 histoires contées au fil des 25 saisons. On peut suggérer une esquisse de typologie des épisodes d'Inspecteur Derrick en se proposant de les décliner selon trois catégories. 

    Un premier type repose principalement sur l'enquête policière elle-même, au travers des investigations et de la découverte des indices, laquelle est souvent moins ennuyeuse que ne le prétendent les détracteurs, amenant l'étau à se resserrer autour du meurtrier finalement identifié comme dans La valise de Salzbourg et Mort d'un musicien, ou bien simplement traqué comme l'évadé de La cavale ou les ravisseurs dans Nuit blanche

    D'autres épisodes se rapprochent beaucoup de ceux de Columbo, avec un duel sans merci entre le criminel et Derrick qui a deviné sa responsabilité et va s'efforcer de le démasquer, en faisant souvent appel à la pression psychologique ; c'est le cas de nombre d'épisodes brillants comme Le diplomate, Une affaire étrange et les particulièrement intenses Le lendemain du crime et La fête. On évoquera quelques-uns de ceux-ci en passant en revue certains des interprètes qui contribuent grandement à concrétiser ces confrontations étouffantes. 

    Enfin, la troisième catégorie d'épisodes met au second plan l'intrigue policière elle-même, voire délaisse quelque peu les investigateurs, pour se concentrer sur le climat psychologique, révéler les tensions et les contradictions qui déchirent des personnages pris dans une affaire criminelle. Ceux-là sont tout particulièrement remarquables, et les acteurs au jeu d'une densité admirable illustrent ces situations en leur conférant une portée exemplaire. Un des exemples les plus évident en est Le sous-locataire, dépourvu de toute violence mais particulièrement prenant, alors que l'Inspecteur Derrick qu'un ancien collègue presse d'intervenir n'a pas la possibilité d'agir. Les plus notables de ces épisodes seront ici détaillés. Un certain nombre d'entre eux se rattachent à plusieurs catégories à la fois de cette typologie et, naturellement, les plus remarquables seront également évoqués.

      Il n'entre pas dans la vocation du présent site de traiter  exhaustivement des 281 épisodes, d'autant qu'il existe à présent un excellent site français consacré notamment aux séries"Le monde des Avengers"(3), qui les détaille dans le large espace qu'il alloue au programme qui nous occupe ici, mais plus modestement d'attirer notamment l'attention des curieux sur quelques dizaines d'entre eux qui se signalent davantage à notre attention, afin de les remémorer aux téléspectateurs qui les auraient vus et de donner aux autres l'envie de les découvrir. L'intrigue y sera exposée de manière concise, et l'article s'efforcera d'en faire ressortir l'enjeu, d'en révéler la perspective qui nous amène à nous sentir concernés par les protagonistes et les situations en lesquelles nous pourrions nous retrouver, nous entraînant dans certains dilemmes qui interrogent sur la nature humaine. 

D'autres épisodes remarquables qui seront également évoqués sur le site.

       Comme indiqué plus haut, quelques articles reviendront aussi sur certains interprètes qui se sont distingués parmi une distribution souvent très brillante, de manière à compléter de manière croisée cette évocation de la série Inspecteur Derrick, pour en mettre en évidence son univers qui mérite que l'on porte sur lui autre chose qu'un dédain méprisant, afin qu'on réalise que son succès populaire n'est pas dû au désœuvrement de spectateurs passifs, mais que ce véritable phénomène issu de l'esprit d'un seul homme n'a pas usurpé sa place dans la culture populaire, et qu'on en découvre toute la profondeur signifiante.

*

(1) voir le premier paragraphe de l'hommage détaillé consacré au scénariste et réalisateur Larry Cohen : https://creatures-imagination.blogspot.com/2019/04/un-brillant-cineaste-independant.html

(2) à noter qu'un hommage partiel aux trois derniers a été mis en ligne à l'occasion de leur disparition sur le blog creatures-imagination, voir le sommaire de celui-ci : http://creatures-imagination.blogspot.com/search/label/sommaire

(3) http://www.lemondedesavengers.fr/hors-serie/annees-1970/inspecteur-derrick


mercredi 13 avril 2022

ON N'EST JAMAIS SI BIEN SERVI QUE PAR SOI-MEME


        Après l'arrêt d'Inspecteur Derrick, un programme télévisé,"Apen Post", se moqua de la série en 1998 sur la chaîne NRK, en Norvège où l'acteur Horst Tappert passait beaucoup de temps avec sa dernière épouse. La série fit également en 2004 l'objet d'une parodie sous la forme d'un dessin animé long format, Derrick, die Pflicht ruft ! ("Derrick, le devoir l'appelle") de Michael Schaack et Michael Ekbladh, mettant en scène les deux inspecteurs dans des situations cocasses et surréalistes, avec un style rappelant, aussi bien par le graphisme et la couleur que par l'humour absurde, celui de la série de dessins animés Inspecteur Gadget


        A l'instar de Richard Crenna interprétant le Colonel Trautman dans les trois premiers films de la saga Rambo qui avait parodié son personnage dans la comédie Hot Shots ! 2 réalisée en 1993 par Jim Abrahams, les deux acteurs récurrents ont accepté de prêter leur voix à leur double de papier, lesquels ne les valorisent pourtant pas, mettant en évidence les yeux rendus globuleux par les lunettes d'Horst Tappert et révélant sa calvitie dissimulée par une perruque, tout en se moquant de la petite taille de Fritz Wepper, présenté comme un nabot trapu à long nez. Ce dernier est aussi apparu en invité surprise dans l'émission française "Touche pas à mon prime" devant un humoriste qui parodiait la série.



Richard Crenna semble reprendre son rôle du Colonel Trautman qu'il interprète magistralement dans la trilogie de Rambo dans la comédie Hot Shots ! 2, mais sa dignité va bientôt être éprouvée.

Un regard rapide pourrait laisser croire que cette photo est tirée de Rambo III, mais on peut constater à l'arrière-plan que le glacial envoyé de l'administration fédérale qu'incarnait Kurtwood Smith cède ici la place à une collègue féminine visiblement plus intéressée par la musculature d'un bonze que par la recherche dans sa retraite du vétéran du Vietnam que le Colonel voudrait bien recruter à nouveau.


Un doublage dans la bonne humeur dans un studio d'enregistrement amenant les deux principaux interprètes d'Inspecteur Derrick à prêter une dernière fois leur voix à leur personnage, cette fois pour de rire.

 Fritz Wepper ne ménage pas sa peine pour donner vie à son effigie née sur le papier.

        Derrick y étant censé avoir éliminé 100 % du crime à Munich, on lui confie une enquête portant sur des actions criminelles manigancées dans le cadre d’un concours de chant, le spectateur étant rapidement informé que le chanteur Arno Hello, qui porte aussi une perruque ainsi qu’un dentier pour paraître plus attrayant, est prêt à faire disparaître physiquement les compétiteurs susceptibles de lui ravir la victoire.

Deux silhouettes quelque peu familières.

Les deux enquêteurs dans leur bureau de Munich recréé par les dessinateurs.

        La perspicacité de l’inspecteur munichois est parfois prise en défaut : c’est seulement en constatant l’impossibilité pour un passager d’avion de faire entrer son sac de voyage trop volumineux dans le casier du porte-bagage qu’il réalise soudainement que le principal suspect, le Gros Frank, est trop corpulent pour avoir été en capacité de s’introduire par une étroite porte dans le local technique de la salle de spectacle où il aurait modifié les installations électriques de manière à électrocuter une concurrente de l’Eurovision. Accessoirement, le dessin animé fait allusion à la sympathie du Pape Jean-Paul II pour le principal interprète de la série - laquelle fut évoquée dans l’article consacré en ces pages à Horst Tappert, une impressionnante et très autoritaire religieuse prêtant pour cette raison son concours au policier afin d’arracher ses aveux au coupable toujours marqué par l’emprise qu’elle exerça dans son éducation religieuse ; on le voit auparavant tenter d’écraser deux bonnes sœurs avec son car pour se venger de ce qu’il a alors dû endurer de l’institution.

Cette religieuse au regard diabolique n'est pas issue d'un dessin animé inspiré du film S.O.S. Fantômes (Ghostbusters) mais de celui recréant le célèbre duo de policiers munichois.

        Le dessin animé ironise sur le statut de subalterne d’Harry, qui ne supporte plus de demeurer dans l’ombre de l’Inspecteur Derrick, au point de souhaiter s’en émanciper chaque fois qu’il est possible et de suivre une psychanalyse afin de recouvrer une capacité à s’affirmer devant son supérieur, ce qui s’avère peu concluant.

Harry espérait être provisoirement délivré de la tutelle de son supérieur et avait même suspendu irréverencieusement dans sa voiture un petit pantin à son effigie, mais son espoir a été immédiatement déçu.

Séance de psychanalyse pour Harry Klein qui a le sentiment de ne pas réellement exister au côté de son patron.

"Plus personne ne bouge - oh, c'est une saucisse..."

        L’œuvre se moque aussi très explicitement de la propension des producteurs à créer des groupes de jeunes chanteurs préfabriqués et immédiatement remplaçables, les "boys bands" alors très à la mode, afin de manipuler un public féminin fanatisé, comme le démontrent les jeunes filles fières d’avoir reçu en plein visage le vomi d’un des membres, ou cette autre qui jette en direction des interprètes sa petite culotte, quoique l’épithète soit peu approprié au vu de la morphologie volumineuse de l’admiratrice. Un épisode de la série conçue par Herbert Reinecker, Mort d’une fan, avait déjà illustré puissamment le sujet, en mettant en valeur aussi bien le cynisme du producteur que l’hystérie du public féminin poussant les plus hardies des groupies à chercher obstinément à se glisser dans le lit de la vedette pour s’offrir sans aucune retenue et sans souci des conséquences.

        Il est manifeste que les auteurs de Derrick Pflicht ruck se sont affranchis délibérément du bon goût, le plus douteux étant atteint lorsque le petit chien d’une des vedettes, gonflé à l’hélium par l’intrigant attaché à nuire à sa maîtresse, s’envole dans les airs avant d’éclater et qu’Harry avale sans s’en apercevoir, en portant à ses lèvres sa coupe de champagne, un œil de la pauvre créature – le générique précise d’ailleurs qu’il s’agit du seul animal ayant subi un mauvais traitement dans le cadre de la réalisation du programme.

        Les relations intimes y sont aussi passées au crible sans ménagement ni crainte des tabous. Alors qu’il enquête dans un bar homosexuel, l’Inspecteur Derrick subit manifestement une tentative déplacée de la part du tenancier. Harry, dont la voix  du navigateur de son véhicule calquée sur celle de sa mère lui rappelle que sa dernière tentative de courtiser vingt ans plus tôt une jeune fille a inspiré à cette dernière le livre « Les hommes sont des porcs », préfiguration du mouvement "Me too", tombe en pâmoison devant la jeune chanteuse Tina, mais est incapable de la différencier jusque dans l’étreinte la plus charnelle d’Arno Hello, qui l’a séquestrée et essaie de se faire passer pour elle afin d’imposer ses chansons. Quant à l’Inspecteur Derrick, si dans la série il n’est pas rare qu’il lui soit donné d’apercevoir la poitrine de danseuses de bar dévêtues au cours de ses investigations, il ne les a jamais vues d’aussi près que dans le dessin animé puisqu’une envoyée du malfaiteur tente de le subvertir en lui collant ses seins sous le nez, ce à quoi le flegmatique détective teuton réagit en lui conseillant de se couvrir afin de ne pas prendre froid – une irradiation intense d’un rayon mis au point par un savant fou comparse du criminel, le Docteur Zark, le rendra cependant brièvement fou d’amour pour une journaliste au physique peu avantageux à l’occasion d’un final échevelé.

L'inspecteur Derrick entame son enquête dans un établissement homosexuel dans lequel il va rapidement décider d'abréger ses investigations lorsque ses sollicitations ne suscitent pas le genre de coopération attendue.


Autre épisode tendant vers l'homosexualité, cette fois à peine refoulée, lorsque Harry Klein s'abandonne dans les bras d'Arno Hello, travesti en Tina (en haut) comme il le réalisera avec dégoût au lendemain d'une nuit d'abandon en retrouvant la véritable chanteuse (en bas).


Derrick reste de marbre devant les seins brandis par une allumeuse (en haut) mais laisse éclater une libido non réfrénée sous l'effet d'un rayon opérant un puissant conditionnement psychologique.

        Cette expérience singulière fut un échec commercial, les spectateurs préférant, selon une formule consacrée, l'original à la copie, et l'oeuvre ne fut pas diffusée en dehors de l'Allemagne. NéanmoinsHorst Tappert et Fritz Wepper ont ainsi démontré aux petits esprits tournant en ridicule la série qu'en dépit du ton austère d'Inspecteur Derrick et de son climat parfois sinistre, ils étaient capables de faire preuve d'auto-dérision, ne laissant à personne d'autre le soin de prononcer les dialogues placés dans la bouche de leur caricature.

Fritz Wepper et Horst Tappert semblent avoir fort bien accepté de se voir caricaturés dans le long métrage peu révérencieux auquel ils ont accordé leur concours, évoquant leur expérience alors que trônent leurs portraits loufoques.

L'acteur Horst Tappert ayant incarné le rôle principal dans les 281 épisodes de la série Inspecteur Derrick appose sa signature sur une représentation de son double de celluloïde, démontrant sa capacité à porter  un regard distancié et humoristique à l'endroit du personnage qui l'a rendu célèbre.

mardi 1 février 2022

L'AUTRE DUO DE DERRICK, seconde partie




UNE COLLABORATION FRUCTUEUSE

Suite de l'article précédent consacré à l'évocation des carrières du scénariste et du producteur de la série Inspecteur Derrick, appelées à se rejoindre dans cette seconde partie.

*

                   L'amorce d'une association fondatrice
                         
          Le producteur allemand Helmut Ringelmann à présent bien établi entreprend à partir du début des années 1960 de produire des séries télévisées policières, notamment avec le concours de la ZDF. Avec la capacité de travail du romancier et scénariste Herbert Reinecker, il était vraisemblable que celui-ci finisse par être recruté par le dynamique producteur, d'autant plus que leurs convictions les rapprochent à présent que l'auteur a rompu avec son engouement de jeunesse belliciste et se fait dorénavent le contempteur du totalitarisme. Le scénariste est engagé en 1963 pour écrire les deux premiers épisodes d'une série inspirée de faits réels relatifs aux agissements des services secrets de l'Est sur le sol de l'Allemagne fédérale, La Cinquième colonne (Die Fünfte Kolonne). 




La Cinquième colonne : photos du premier épisode, Es führt kein Weg zurück (les deux photos du haut), et du deuxième, Das Gelbe Paket (troisième photo), tous les deux écrits par Herbert Reinecker ; en dessous, Gerd Baltus, un acteur récurrent d'Inspecteur Derrick, apparaît dans les dix-septième et vingtième épisodes (à droite sur la photo du bas). 

        Il faut attendre quelques années pour que les deux hommes soient amenés à travailler de nouveau ensemble, avec trois oeuvres assez comparables, sous la forme de trois mini-séries de trois épisodes pour la ZDF réalisées par Wolfgang Becker. Dans La mort court derrière (Der Tod laüft hinterher) en 1967, une conspiration ourdie par une bande criminelle fait croire à tort à la mort d'une femme, dans Balbeck l'année suivante, un trafiquant d'armes s'avère avoir échangé sa place avec son garde du corps pour se jouer de ses adversaires, et dans 11 Uhr 20, un couple voyageant en Tunisie découvre dans le coffre de sa voiture un cadavre pourvu d'une carte d'identité qui ne lui appartient pas, se trouvant pris entre des réglements de comptes de gangsters s'intéressant aux ressources pétrolières. Différents futurs acteurs de la série Inspecteur Derrick figurent aussi dans la distribution, Pinkas Braun et Gerd Baltus dans la première trilogie, Helmut Löhner, l'acteur principal du second épisode d'Inspecteur DerrickJohanna, Raimund Harmstoff, Curd Jurgens, Siegfried Lowitz déjà évoqué plus haut ainsi qu'Horst Tappert en narrateur, dans la deuxième, Vadim Glowna et Karl Walter Diess déjà cités ainsi que Christiane Krüger et Hans-Michael Rehberg dans la troisième. Une autre association entre Ringelmann et Becker voit le jour la même année, Hôtel Royal, avec de nouveau Pinkas Braun, dans une intrigue portant sur le vol répété de bijoux, sur un ton plus léger que les histoires de Reinecker agencées pour le duo, avant une autre mini-série en 1970 toujours avec Joachim Fuchsberger, 11 Uhr 20, mais 1969 voit surtout le lancement des séries policières prolifiques écrites par Herbert Reinecker en qui le producteur voit une poule aux œufs d'or.

Joachim Fuchsberger dans le rôle principal de Der Tod laüft hinterher est confronté à bien des imbroglios ; l'acteur apparaît aussi en 1969 dans Hôtel Royal et reviendra en 1970 dans 11 Uhr 20.


Gerd Baltus, en haut à droite et Pinkas Braun, en bas à droite, deux acteurs vus dans Inspecteur Derrick, sont aussi à l'affiche de Der Tod laüft hinterher.

Helmut Löhner dans le rôle principal tragique de la mini-série Balbeck, qui interprétera le deuxième assassin à apparaître dans la série Inspecteur Derrick, dans l'épisode Johanna.




Des vacances qui tournent mal dans 11 Uhr 20, avec Joachim Fuchsberger en vedette. Pour une fois, la production a quitté Munich pour tourner en décors réels à Istambul, Tunis et dans le Sahara, par un hiver glacial qui a durement éprouvé l'équipe et sous la menace d'animaux vénimeux.

Herbert Reinecker en 1969, année qui le voit unir sa carrière de manière durable avec le producteur Helmut Ringelmann et la chaîne ZDF.


            La création de séries policières renommées

        Il ne manquait en effet à l'œuvre d'Herbert Reinecker que la création de personnages récurrents et populaires auprès du public et c'est à cette tâche que va s'adonner le scénariste sous l'influence du producteur. Cette collaboration redoublée est initiée en 1969 par Der Kommissar, une série en noir et blanc qui dure jusqu'au début 1976, dans lequel l'acteur Erik Ode interprète un policier un peu désabusé par le relâchement des mœurs, et dans lequel Fritz Wepper incarne pour la première fois l'adjoint Harry Klein. Ce dernier suivra son personnage sur la série Inspecteur Derrick tandis que son frère le remplacera dans l'équipe. La préproduction de la nouvelle série débute le 22 juin 1973. Il est décidé qu'elle sera tournée en couleurs avec le même support que les productions pour le grand écran et en utilisant des décors naturels à l'exception de l'intérieur du commissariat élaboré dans les fameux studios Bavaria, une reconstitution minutieuse d'un bureau du véritable commissariat central de Munich. Les histoires avaient été écrites de manière à s'étaler sur une durée d'une heure et demie, mais les responsables de la chaîne ZDF ayant exigé que leur format n'excède pas une heure, le producteur et le scénariste furent à leur grand regret contraints de revoir en urgence les sept scénarios qui avaient été présentés, de sorte que le tournage du premier épisode répondant à cette exigence, Le bus de minuit, puisse bien débuter le 27 juillet 1973 en début de matinée. La réalisation des épisodes était particulièrement soignée, chacun nécessitant deux semaines de tournage. Le succès incontesté d'Inspecteur Derrick à la télévision allemande et bientôt au-delà, dont la diffusion d'épisodes inédits s'étalera de 1974 à 1998, n'empêchera pas Helmut Ringelmann de lancer également de son côté Le Renard (Die Alte) en 1977. 

Tournage en 1969 d'un épisode de Der Kommissar avec Erik Ode dans le rôle principal.


Le bureau de l'Inspecteur Derrick, réplique conforme du vrai commissariat central de Munich, attestant la volonté de s'inscrire dans la réalité la plus concrète (source : https://ispettorederrick.it/l-ufficio-di-derrick).


La Caméra d'or, une récompense télévisuelle, est décernée en 1981 au scénariste Herbert Reinecker (plan américain sur la photo du haut, et figurant à l'extrême droite sur la photo du bas). Horst Tappert (à l'extrême gauche sur la photo de groupe) et Fritz Wepper (juste à côté), formant le duo d'Inspecteur Derrick, sont également honorés, ainsi qu'Erik Ode qui fut l'interprète principal de Der Kommissar, à la droite immédiate d'Herbert Reinecker.


Fritz Wepper, à droite, retrouve son ancien partenaire de Der KommissarErik Ode (au centre), sur la série Inspecteur Derrick, celui-là ayant mis en scène deux épisodes, Une forte personnalité et L'envie en 1979 (photo).

Herbert Reinecker en discussion avec le présentateur du journal d'information sur la Chaîne ZDF en 1995, au temps du tournage du 250 ème épisode d'Inspecteur Derrick.

Une complicité affichée devant les médias entre le scénariste Herbert Reinecker et Horst Tappert qui était son porte-voix dans la série Inspecteur Derrick, mais derrière cette entente existaient des dissensions. La vedette télévisuelle aurait souhaité que son personnage bénéficie de davantage de scènes d'action plutôt que de prononcer les réflexions au ton philosophique de l'auteur. Cette dualité prendra un tour plus ouvertement conflictuel à l'occasion du dernier épisode tant leurs intentions étaient opposées sur la conclusion qu'il convenait de donner à la série.

Le producteur entouré de ses deux acteurs principaux pour le 250ème épisode de sa production la plus célèbre.


Une brève apparition dans un garage à la manière d'Alfred Hitchcock du producteur dans l'épisode 174 d'Inspecteur DerrickLa Rose bleue


Le producteur (à gauche sur la photo du haut) apparaît de nouveau à l'écran dans l'ultime épisode d'Inspecteur Derrick dans l'assistance conviée à écouter le déclaration du policier quittant ses fonctions, laquelle réunit aussi les acteurs de son autre production Le Renard avec Rolf Schimpf et Michael Ande, au milieu (en bas), autre policier qui prendra à son tour sa retraite neuf années plus tard, mais cette série-là se poursuivra quant à elle avec une distribution toujours renouvelée - elle en est à son quatrième interprète en qualité de commissaire principal.


La seconde épouse d'Helmut Ringelmann, l'actrice Evelyn Opela (en haut au côté du producteur pour célébrer le 75 ème anniversaire d'Horst Tappert), est apparue dans plusieurs épisodes d'Inspecteur Derrick, comme dans l'épisode Judith dans lequel elle est assez bouleversante - cette photo prise sur le tournage, avec l'interprète principal Horst Tappert et au second plan l'acteur Holger Petzold qui est apparu dans pas moins de 23 épisodes de la série, semble indiquer que l'ambiance y était plus légère que l'atmosphère lourde de l'histoire.


La série originelle du Renard avec Siegfried Lowitz dans le rôle principal, au côté déjà de Michael Ande, qui est à l'affiche dès l'origine en 1977 (photo du haut) et figurera dans 400 épisodes de la série durant 39 ans.

La série Le Renard dure depuis plus de 40 ans ; ici, le producteur Helmut Ringelmann pose à côté de Rolf Schimpf (au milieu) qui a succédé à Siegfried Lowitz et tenu le rôle principal de 1986 à 2007, et de son acolyte Michael Ande (à gauche). Le record en la matière est cependant détenu par une autre série policière allemande similaire, Tatort, qui dure depuis plus de cinquante ans et dont un épisode sous forme de téléfilm a même été exceptionnellement diffusé aux États-Unis*.

Le producteur célèbre le triomphe ses deux séries vedettes avec Horst Tappert et Siegfried Lowitz à la Fête de la bière en octobre 1982, à laquelle prenait aussi part le véritable chef de la police de Munich.

Herbert Reinecker s'émancipe provisoirement de son producteur en 1983 à l'occasion de sa contribution à quelques épisodes de la série Das Traumschiff, lointainement inspirée de La Croisière s'amuse (The Love Boat), qui existe depuis 1981, ici sur un tournage à Rio aux côtés de l'actrice Heide Keller dans le rôle de la responsable de l'équipe des hôtesses.

Herbert Reinecker à nouveau célébré en 1989 pour son apport à la télévision allemande.

   Le duo Ringelmann-Reinecker lancera aussi la série Siska dans l'intention avouée de remplacer Inspecteur Derrick, dont le scénariste écrira les quatre premiers épisodes. Ayant perdu dans ses vieux jours l'usage de la vue, Herbert Reinecker dut dicter ses dernières histoires avant de s'éteindre le 27 janvier 2007 à 92 ans, après une longue carrière. Lui qui avait suivi dans ses jeunes années une courte formation de scénariste délivrée par la société de production Tobis devrait à son tour inspirer les scénaristes actuels par son aptitude à imaginer des situations et à intéresser à ses personnages, avec certes le renfort du talent de grands acteurs venus notamment du monde du théâtre et qui ont souvent aussi tourné dans Le Renard. Il fit toujours montre d'un art consacré de la narration et en dépit de sa mine souvent affable, il était intransigeant quant au respect scrupuleux par les interprètes des dialogues qu'il agençait soigneusement, comme s'en irritait Horst Tappert ayant la responsabilité d'être son porte-voix dans Inspecteur Derrick, un honneur qu'il devait mériter. En un peu plus de 30 ans de collaboration avec Helmut Ringelmann, son auteur principal aura livré 385 scénarios d'épisodes pour la ZDF, certains étant l'adaptation de ses propres romans, des films et téléfilms, des pièces de théâtres, des fictions pour la radio, soit un investissement soutenu que lui a reproché dans un livre, "Dance with Me, Papa", sa fille née de son premier mariage, Rita Reinecker, qui le dépeint comme un père absent.


Le producteur Helmut Ringelmann très présent au côté de Peter Kremer, l'interprète principal de la première saison de Siska.

Le scénariste prolifique à sa machine à écrire, concrétisant un jaillissement ininterrompu d'intrigues.

Couverture du livre critique qu'a consaré à Herbert Reinecker sa fille Rita, estimant que sa vie familiale a manqué de chaleur de la part de son père assez réservé et très investi dans son travail.

Un roman d'Herbert Reinecker au temps de sa série Der Kommissar, avant qu'Inspecteur Derrick ne lui apporte une reconnaissance et une renommée supplémentaire, son travail pour la télévision ne l'ayant pas empêché de mener conjointement une carrière littéraire, les deux s'étant parfois rejoints.

Une photo dédicacée du scénariste.

Un producteur comblé et célébré.

    Le producteur aura toujours assuré son auteur de son soutien, confiant dans sa prolixité comme dans sa capacité à agencer des histoires bien construites et capables d'intéresser le public. La seule l'exception en est l'épisode destiné à conclure la série Inspecteur Derrick, portant sur un sujet problématique, qui le contraindra à rendre un arbitrage défavorable envers une proposition à laquelle tenait particulièrement le scénariste, comme il en sera fait état dans un article dédié. Son fils Tobias issu de son premier mariage avait été son assistant sur Inspecteur Derrick et Le Renard et avait joué dans certains épisodes, deux épisodes de Der Kommissar, un du Renard, et deux d'Inspecteur Derrick, interprétant un employé non crédité au générique dans l'épisode Les indésirables et un autre personnage dans L'Affaire GoosHelmut Ringelmann est décédé le 20 février 2011, sa disparition fermant une page glorieuse de la télévision allemande qui demeurera notamment au travers d'Inspecteur Derrick.



Le fils du premier mariage du producteur, Tobias Ringelmann dans Der Kommissar et Inspecteur Derrick, qui comme son père s'est principalement tourné vers la production télévisuelle.

Une biographie posthume consacré à Helmut Ringelmann par Wolfgang Jacobsen, éditée par sa veuve, l'actrive Evelyn Opela-Ringelmann.


(lequel a été évoqué depuis dans l’hommage au réalisateur Wolfgang Petersen : http://creatures-imagination.blogspot.com/2022/09/nul-nest-prophete-en-son-pays.html )